27/12/2022

La procédure collective et l’omission financière de l’avocat : quand l’une chasse l’autre

Un arrêt rendu par la première chambre civile le 26 octobre 2022 (Civ. 1ère, 26 oct. 2022, n°21-10.938, P), destiné à être publié au bulletin, clarifie l’articulation des effets de l’omission avec ceux d’une procédure collective.

 Les faits sont les suivants :

- le 18 octobre 2018, un conseil de l’Ordre prononce l'omission du tableau d’un avocat au motif qu'il n'avait pas respecté l'échéancier auquel il s'était engagé pour le paiement de sa dette à la Cnbf ;
 
- le 1er juillet 2019, ce même conseil de l'Ordre rejette un « recours » de l’avocat, qui semble en fait être un rejet d’une demande de levée de l’omission et donc de réinscription ;
 
- le 4 juillet 2019, l’avocat est placé en redressement judiciaire ;
 
- le 31 juillet 2019, il sollicite sa (seconde) réinscription au tableau ;
 
- le 5 septembre 2019 conseil de l'Ordre refuse la réinscription toujours au motif qu'il n'avait pas respecté l'échéancier fixé pour le règlement de sa dette à l'égard de la Cnbf.
 
S’ensuit un recours de l’avocat qui a conduit, sur pourvoi du conseil de l’Ordre à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel qui avait ordonnée la réinscription 
au tableau de l’avocat, à l’arrêt de la Cour de cassation.
 
Le conseil de l’Ordre reprochait à la cour d’appel d’avoir ordonné la réinscription : « sans constater que l’avocat aurait procédé au paiement de sa dette à l'égard de la Cnbf et que la cause de son omission aurait ainsi disparu. ».
 
La première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que :
 
« 5. Si, selon l'article 105, 2° du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l'avocat qui, sans motifs valables, n'a pas acquitté sa cotisation à la CNBF peut être omis du tableau, sa réinscription est, aux termes de l'article 107, prononcée par le conseil de l'ordre qui, avant d'accueillir la demande de réinscription, vérifie que l'intéressé remplit les conditions requises pour figurer au tableau.
 
6. Aux termes de l'article L. 622-7 du code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde de justice, applicable également, selon l'article L. 631-14, à la procédure de redressement judiciaire, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.
 
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'absence de règlement de cotisations dues par un avocat ayant motivé son omission du tableau ne peut faire obstacle à sa réinscription dans le cas où il fait l'objet d'un redressement judiciaire » (Civ. 1ère, 26 oct. 2022, n°21-10.938, P).
 
Cette solution ne peut qu’être pleinement approuvée.
 
En effet, dès lors qu’il est placé en redressement judiciaire, l’avocat a interdiction de payer les créances nées antérieurement au jugement d'ouverture (Code de commerce, article L. 622-7) : lesdites créances ne sont plus exigibles, faisant que l’on ne saurait valablement reprocher à un avocat, à quelque titre que ce soit, y compris sur le plan d’une éventuelle procédure disciplinaire, de ne pas payer des sommes qu’il a … interdiction de payer !
 
La position du conseil de l’Ordre brillait par son … incohérence. Elle témoigne aussi de la « mauvaise presse » dont font l’objet les avocats qui recourent aux procédures collectives.
 
La même solution vaut, naturellement, en cas de procédure de sauvegarde de justice.
 
Et, il en est de même au stade de la liquidation judiciaire où la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser :
 
- D’une part, que l'interdiction d'exercer une activité susceptible d'être soumise à une procédure collective (et non d’exercer la profession d’avocat) en application de l’article L. 640-2 du code de commerce, prévue par l'article L. 641-9 du code de commerce, dont est frappé l’avocat en liquidation judiciaire ne saurait justifier une décision de l'omettre du tableau (Com. 5 avr. 2011, n°10-30.232, P) ;
 
- D’autre part, cette même interdiction qui ne lui fait défense d'exercer la profession d’avocat qu’à titre individuel, ne lui interdit en aucun cas de le faire en tant qu'associé d’une structure d’exercice (structure de droit commun, SEL ou SCP), y compris dont il serait l’associé unique, ou avocat salarié, dès lors qu’en ces qualités il n'agit plus en son nom propre, mais exerce ses fonctions au nom de la société, et ne saurait dès lors personnellement faire l’objet d’une procédure collective (Com.,9 févr. 2010, n°08-15.191, P - Com., 9 févr. 2010, n°08-17.144, P - Com.,9 févr. 2010, n°08-17.670, P).
 
En réalité, le maintien par les textes de l’omission financière, alors même que les avocats sont désormais pleinement soumis au régime des procédures collectives, apparaît pour le moins suranné. L’omission financière qui consiste à omettre un avocat en raison du défaut de paiement de certaines de ses cotisations professionnelles, afin que celui-ci régularise ses dettes alors même qu’il n’est alors plus en mesure d’exercer la profession d’avocat, avant de pouvoir se réinscrire, rappelle plus les temps anciens de l’avocat rentier qui pouvait cesser de travailler le temps de se retourner, que ceux de l’avocat entrepreneur pleinement immergé dans la vie économique moderne (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°811.111  et s.).