20/12/2024

Délai pour solliciter l’exécutoire d’une décision du bâtonnier en matière de fixation des honoraires

Par son arrêt du 19 décembre 2024 (Civ. 2ème, 19 déc. 2024, n°23-11.754, P), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s'est prononcée sur une question inédite en matière de fixation des honoraires : celle du délai pour solliciter, auprès du président du tribunal judicaire, l’exécutoire de la décision de fixation rendue par le bâtonnier.

L’arrêt permet au passage de découvrir toutes les étapes que peut connaître une demande d’exécutoire d’une décision du bâtonnier en matière de fixation des honoraires (sur cette question, v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 18e éd., 2024, Dalloz Action, n°741.360 et s.).  

Au cas d’espèce, la décision de fixation rendue par le bâtonnier, pour un montant de 500 000 euros HT …, datait du 1er août 2002, et le recours à son  encontre avait été déclaré irrecevable par une ordonnance du premier président en date du 3 décembre 2003, mais l’avocat avait attendu 2017, soit 15 ans … !, pour saisir le président du tribunal judiciaire afin qu'il appose la formule exécutoire sur la décision de fixation.

Le président du tribunal judiciaire avait, par une ordonnance en date du 19 décembre 2017, rejeté la demande, et, sur appel de l’avocat, la cour d’appel avait, par un arrêt non contradictoire du 5 avril 2022, infirmé l'ordonnance et rendu exécutoire la décision de fixation. Les débiteurs avaient alors demandé la rétractation de cet arrêt, mais la cour d’appel avait, par un second arrêt en date du 6 décembre 2022, rejeté leur requête en rétractation. C’est de ce dernier arrêt dont la Cour de cassation était saisie. 

La cour d’appel avait considéré qu’il n’y avait pas de délai de prescription applicable, faute pour les textes d’en avoir prévue un. 

La Cour de cassation, après avoir rappelé que : « la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps » (Civ. 2ème, 19 déc. 2024, n°23-11.754, P), évacuant, de ce seul chef, toute idée d’absence de prescription, procède en deux temps à la recherche de la prescription perdue. 

Dans un premier temps, la Cour de cassation rejette l’application du délai de dix ans, attaché aux titres exécutoires, faute pour ladite décision de fixation de constituer une décision juridictionnelle (ce qui a toujours été sa position : v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 18e éd., 2024, Dalloz Action, n°741.281 et s.). 

Pour la Cour de cassation : 

« (…) la décision du bâtonnier, qui ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d'un jugement, fit-elle devenue irrévocable par suite de l'irrecevabilité du recours formé devant le premier président de la cour d'appel, ne peut faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée qu'après avoir été rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire, seul habilité à cet effet.

La décision du bâtonnier ne constitue pas, tant qu'elle n'a pas été rendue exécutoire, un titre exécutoire au sens de l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution. Elle n'est par conséquent pas soumise au délai de 10 ans prévu pour l'exécution des titres exécutoires à l'article L. 111-4 du même code » (Civ. 2ème, 19 déc. 2024, n°23-11.754, P).

Dans un second temps, elle en conclut que : 

« (…) la demande tendant à rendre exécutoire la décision du bâtonnier doit être présentée dans le délai de prescription de la créance. » (Civ. 2ème, 19 déc. 2024, n°23-11.754, P).

La demande tendant à rendre exécutoire la décision du bâtonnier doit ainsi être présentée dans un délai, suivant les cas, de deux ans (en présence d'un consommateur si l'avocat est le demandeur), quatre ans (Etat et collectivités) ou cinq ans. 

Cette solution est déjà celle qui prévaut en matière d’exequatur des sentences arbitrales.

Reste en suspens la question du point de départ de ce délai, lequel n'était pas en débat puisque la cour d'appel avait considéré qu'il n'y avait pas de prescription applicable.

Logiquement, dès lors que le délai initial aura été valablement interrompu par la saisine du bâtonnier (v. Civ. 2e, 10 déc. 2015, n°14-25.892, P), le point de départ du (nouveau) délai devrait être non pas la date de la décision de fixation, ni celle de sa notification, mais plus certainement la date à laquelle la décision de fixation devient définitive (expiration du délai d'appel en principe, ou la notification l’ordonnance d’irrecevabilité du premier président, comme au cas d’espèce) dès lors que l'on ne peut pas solliciter l'exécutoire avant cette même date ... 

... sauf en cas d'exécution provisoire de la décision de fixation (sur cette question, v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 18e éd., 2024, Dalloz Action, n°741.381 et s.) où ce même point de départ devrait alors être … la date de la notification de la décision de fixation.

Et, ce même délai devrait être interrompu par le dépôt de la demande d’exécutoire auprès du président du tribunal judicaire.

Quoiqu’il soit, il ne faut jamais tarder pour solliciter ledit exécutoire. Quitte à temporiser ensuite dans le cadre de l’exécution. 

18/12/2024

Affaire Bismuth : clap de fin (enfin presque)

La lecture de l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire dite Bismuth (Crim. 18 déc. 2024, n°23-83.178, P) est, à elle seule, une vertu pédagogique. L’arrêt est carré et conforme à la jurisprudence.  

Non, ça ne se fait pas d’intervenir auprès d’un magistrat (comme d’un greffier, d’un OPJ, etc…) pour essayer d’influer sur une décision ou d’obtenir des informations privilégiées sur la procédure. Même sans contrepartie, soit-dit en passant.    

Oui, ça se fait d’utiliser une conversation téléphonique entre un avocat et son client lorsque celle-ci est le support même de l’infraction commise. Les principes en la matière ont déjà été posés par la CEDH dans son arrêt du 16 juin 2016 (v. D. Piau, "Ecoutes incidentes, un avocat averti en vaut deux"). 

L’encre a déjà tellement coulé sur le sujet qu’il n’y a plus guère à écrire (v. not. D. Piau, "Le bâtonnier, protecteur et confident nécessaire de ses confrères, là est la victoire, et elle est belle !"). 

On s’amusera à constater le rejet d’un certain nombre de moyens car la défense était parfaitement en mesure de les soulever en temps utile mais ne l’a point fait … on se demandera pourquoi …
 
J’ai très mal vécu dans cette affaire l’instrumentalisation de mon barreau, non pas dans l’intérêt général des avocats, mais dans l’intérêt particulier de la défense d’un ancien président de la République. D’autant plus mal vécu, que je l’ai vécu de l’intérieur.   

La Cour de cassation a ainsi remis les choses d’équerre, et ce dans l’intérêt bien compris de la grande famille judiciaire, dans son ensemble. 

Pour les avocats dans leur pratique quotidienne, il reste un point sur lequel il convient de prendre garde : l’« attendu » 68 de l’arrêt de la Cour de cassation qui considère, s’agissant des arrêts de la chambre de l’instruction, sans se prononcer sur leur régime au regard du secret de l’enquête et de l’instruction, que ceux-ci sont couverts par le secret professionnel de l’avocat.

Pour la Cour de cassation : 

« un arrêt débattu et rendu en chambre du conseil par une chambre de l'instruction dans le cadre d'une procédure d'instruction est notifié à l'avocat d'une partie en application de l'article 217 du code de procédure pénale, il constitue une information à caractère secret dont l'avocat a eu communication en raison de sa profession et dont la révélation est interdite en application de l'article 226-13 du code pénal, la circonstance que ce document soit ou non couvert par le secret de l'instruction étant indifférente. » (Crim. 18 déc. 2024, n°23-83.178, P).

Cette position, et elle seule, apparait très discutable, car la communication d’un tel arrêt à un tiers peut être justifiée par les nécessités de la défense afin d’avoir un avis, notamment, juridique.

Toutefois, la question des nécessités des droits de la défense n’était pas soulevée sur ce point, seule l’absence de protection par le secret l’était. Il est vrai que ça aurait été le diable qui se mord par la queue que de reconnaitre ainsi, implicitement, l’infraction qui était reprochée à titre principal …  

C’était donc juste pour une « activité doctrinale » qu’un « passionné de procédure pénale (…) a indiqué vouloir consulter l'arrêt par curiosité ». 

Et comme chacun sait, la curiosité est un vilain défaut. 

07/12/2024

Détermination du bâtonnier compétent en fixation des honoraires d’une structure d’exercice

Par son arrêt du 28 novembre 2024 (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s'est prononcée, pour la première fois, sur la question de la compétence en matière de fixation des honoraires en cas de structure d'exercice inter barreaux (Sur ces questions, v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 18e éd., 2024, Dalloz Action, n°741.270 et s.).

La question était de savoir quel bâtonnier est compétent pour connaître d’une procédure en fixation des honoraires concernant une structures d’exercice dont les associés appartiennent à plusieurs barreaux (dite structure inter barreaux). 

Dans son arrêt, la Cour de cassation considère que : 

« 7. Les articles 174 et 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat prévoient que la procédure de contestation des honoraires d'avocat est soumise successivement au bâtonnier de l'ordre des avocats auquel appartient l'avocat concerné puis au premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'ordre est établi. Cette procédure spécifique échappe aux dispositions générales du code de procédure civile relatives à la compétence territoriale.

8. Aux termes de l'article 17.3 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, les structures d'exercice inter-barreaux sont inscrites au tableau de l'ordre de leur siège social et à l'annexe au tableau de chacun des barreaux auprès desquels peuvent postuler les avocats de ladite structure.

9. Il résulte des dispositions de l'article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993, alors en vigueur, selon lesquelles chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société, que seule la société est créancière de l'honoraire.

10. Il s'en déduit que le bâtonnier de l'ordre où est inscrit le siège social d'une société inter-barreaux est seul compétent pour connaître des litiges portant sur la fixation des honoraires de cette société. »  (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP).

En premier lieu, la Cour de Cassation réaffirme le caractère spécifique de la procédure de fixation des honoraires qui échappe ainsi, par sa nature, « aux dispositions de l'article 47 du code de procédure civile » (Civ. 1ère, 9 oct. 2001, n°99-11.897, PCiv. 1ère, 14 mai 1991, n°89-15.175, P) ; « aux prévisions de l'article 58 du code de procédure civile » (Civ. 2ème, 24 mai 2018, n°17-18.458, 17-18.504, P - Civ. 2ème 10 oct. 2024, n°23-12.211, P) ou encore, comme au cas d’espèce, « aux dispositions générales du code de procédure civile relatives à la compétence territoriale » (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP).

En second lieu, et par voie de conséquence, dès lors que : « chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société, que seule la société est créancière de l'honoraire »,  elle en déduit fort logiquement que : « le bâtonnier de l'ordre où est inscrit le siège social d'une société inter-barreaux est seul compétent pour connaître des litiges portant sur la fixation des honoraires de cette société » (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP).

C'est donc bien, comme l'avait déjà jugé la cour d'appel de Paris (Paris, pôle 2, ch. 6, 19 oct. 2017, RG n°16/00402), le bâtonnier du barreau d'inscription de la structure d'exercice qui est compétent, et ce : 

- peu importe le barreau d'appartenance des avocats concernés par les honoraires objets de la fixation, qui ont effectivement traité le dossier et émis les factures ;

- peu importe que ce soit le client ou le cabinet d’avocats qui soient à l’initiative de la procédure. 

Cette solution est parfaitement logique, et se doit d’être approuvée. 

En effet, dès lors que l’on est en présence d'une structure d'exercice, dotée de la personnalité morale, c’est cette dernière qui exerce la profession d’avocat, et il convient, à cet égard, de rappeler, comme a déjà pu le juger la Cour de cassation, que : 

- seule la structure d’exercice est recevable à intenter, en la personne de ses représentants légaux, une action en fixation des honoraires (Civ. 2ème, 15 févr. 2007, n°05-11.056, P). C’est en effet la structure d’exercice qui est alors l’avocat du client.

Un associé d’une structure d’exercice, agissant à titre personnel, ne saurait dès lors intenter une telle action en lieu et place de la structure d’exercice à laquelle il appartient, ni user d’une voie de recours à l’encontre d’une décision rendue en matière de fixation des honoraires de la structure d’exercice à laquelle il appartient ;

- seule la structure d’exercice, et non un ou plusieurs de ses associés, peut être condamnée à restituer les honoraires au client, le fait que la structure d’exercice soit en liquidation judiciaire étant sans incidence à cet égard (Civ. 2ème, 23 mai 2019, n°18-16.429, NP).

Considérer l’inverse reviendrait à dénier la nature même de personne morale que constitue la structure d’exercice. 

Il convient d’insister sur le fait que cette même solution n’a pas vocation à s’appliquer aux groupements d’exercice qui ne possèdent pas la personnalité morale, et notamment aux associations ou Aarpi inter barreaux : la procédure en fixation des honoraires, qui doit alors être impérativement dirigée par ou contre l’avocat personne physique, ressortira alors de la compétence bâtonnier du ou des barreau(x) d'appartenance des avocats concernés (voir aussi :  D. Piau, « Des conséquences en cas de litige de l’absence de personnalité morale des associations d’avocats / Aarpi »).

Cette dernière solution n’est d’ailleurs pas sans poser des difficultés lorsque l’on a eu recours à plusieurs avocats de la même association ou Aarpi appartenant à plusieurs barreaux différents, ce qui est loin d’être un cas d’école.