20/12/2024

Délai pour solliciter l’exécutoire d’une décision du bâtonnier en matière de fixation des honoraires

Par son arrêt du 19 décembre 2024 (Civ. 2ème, 19 déc. 2024, n°23-11.754, P), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s'est prononcée sur une question inédite en matière de fixation des honoraires : celle du délai pour solliciter, auprès du président du tribunal judicaire, l’exécutoire de la décision de fixation rendue par le bâtonnier.

L’arrêt permet au passage de découvrir toutes les étapes que peut connaître une demande d’exécutoire d’une décision du bâtonnier en matière de fixation des honoraires (sur cette question, v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 18e éd., 2024, Dalloz Action, n°741.360 et s.).  

Au cas d’espèce, la décision de fixation rendue par le bâtonnier, pour un montant de 500 000 euros HT …, datait du 1er août 2002, et le recours à son  encontre avait été déclaré irrecevable par une ordonnance du premier président en date du 3 décembre 2003, mais l’avocat avait attendu 2017, soit 15 ans … !, pour saisir le président du tribunal judiciaire afin qu'il appose la formule exécutoire sur la décision de fixation.

Le président du tribunal judiciaire avait, par une ordonnance en date du 19 décembre 2017, rejeté la demande, et, sur appel de l’avocat, la cour d’appel avait, par un arrêt non contradictoire du 5 avril 2022, infirmé l'ordonnance et rendu exécutoire la décision de fixation. Les débiteurs avaient alors demandé la rétractation de cet arrêt, mais la cour d’appel avait, par un second arrêt en date du 6 décembre 2022, rejeté leur requête en rétractation. C’est de ce dernier arrêt dont la Cour de cassation était saisie. 

La cour d’appel avait considéré qu’il n’y avait pas de délai de prescription applicable, faute pour les textes d’en avoir prévue un. 

La Cour de cassation, après avoir rappelé que : « la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps » (Civ. 2ème, 19 déc. 2024, n°23-11.754, P), évacuant, de ce seul chef, toute idée d’absence de prescription, procède en deux temps à la recherche de la prescription perdue. 

Dans un premier temps, la Cour de cassation rejette l’application du délai de dix ans, attaché aux titres exécutoires, faute pour ladite décision de fixation de constituer une décision juridictionnelle (ce qui a toujours été sa position : v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 18e éd., 2024, Dalloz Action, n°741.281 et s.). 

Pour la Cour de cassation : 

« (…) la décision du bâtonnier, qui ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d'un jugement, fit-elle devenue irrévocable par suite de l'irrecevabilité du recours formé devant le premier président de la cour d'appel, ne peut faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée qu'après avoir été rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire, seul habilité à cet effet.

La décision du bâtonnier ne constitue pas, tant qu'elle n'a pas été rendue exécutoire, un titre exécutoire au sens de l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution. Elle n'est par conséquent pas soumise au délai de 10 ans prévu pour l'exécution des titres exécutoires à l'article L. 111-4 du même code » (Civ. 2ème, 19 déc. 2024, n°23-11.754, P).

Dans un second temps, elle en conclut que : 

« (…) la demande tendant à rendre exécutoire la décision du bâtonnier doit être présentée dans le délai de prescription de la créance. » (Civ. 2ème, 19 déc. 2024, n°23-11.754, P).

La demande tendant à rendre exécutoire la décision du bâtonnier doit ainsi être présentée dans un délai, suivant les cas, de deux ans (en présence d'un consommateur si l'avocat est le demandeur), quatre ans (Etat et collectivités) ou cinq ans. 

Cette solution est déjà celle qui prévaut en matière d’exequatur des sentences arbitrales.

Reste en suspens la question du point de départ de ce délai, lequel n'était pas en débat puisque la cour d'appel avait considéré qu'il n'y avait pas de prescription applicable.

Logiquement, dès lors que le délai initial aura été valablement interrompu par la saisine du bâtonnier (v. Civ. 2e, 10 déc. 2015, n°14-25.892, P), le point de départ du (nouveau) délai devrait être non pas la date de la décision de fixation, ni celle de sa notification, mais plus certainement la date à laquelle la décision de fixation devient définitive (expiration du délai d'appel en principe, ou la notification l’ordonnance d’irrecevabilité du premier président, comme au cas d’espèce) dès lors que l'on ne peut pas solliciter l'exécutoire avant cette même date ... 

... sauf en cas d'exécution provisoire de la décision de fixation (sur cette question, v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 18e éd., 2024, Dalloz Action, n°741.381 et s.) où ce même point de départ devrait alors être … la date de la notification de la décision de fixation.

Et, ce même délai devrait être interrompu par le dépôt de la demande d’exécutoire auprès du président du tribunal judicaire.

Quoiqu’il soit, il ne faut jamais tarder pour solliciter ledit exécutoire. Quitte à temporiser ensuite dans le cadre de l’exécution. 

18/12/2024

Affaire Bismuth : clap de fin (enfin presque)

La lecture de l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire dite Bismuth (Crim. 18 déc. 2024, n°23-83.178, P) est, à elle seule, une vertu pédagogique. L’arrêt est carré et conforme à la jurisprudence.  

Non, ça ne se fait pas d’intervenir auprès d’un magistrat (comme d’un greffier, d’un OPJ, etc…) pour essayer d’influer sur une décision ou d’obtenir des informations privilégiées sur la procédure. Même sans contrepartie, soit-dit en passant.    

Oui, ça se fait d’utiliser une conversation téléphonique entre un avocat et son client lorsque celle-ci est le support même de l’infraction commise. Les principes en la matière ont déjà été posés par la CEDH dans son arrêt du 16 juin 2016 (v. D. Piau, "Ecoutes incidentes, un avocat averti en vaut deux"). 

L’encre a déjà tellement coulé sur le sujet qu’il n’y a plus guère à écrire (v. not. D. Piau, "Le bâtonnier, protecteur et confident nécessaire de ses confrères, là est la victoire, et elle est belle !"). 

On s’amusera à constater le rejet d’un certain nombre de moyens car la défense était parfaitement en mesure de les soulever en temps utile mais ne l’a point fait … on se demandera pourquoi …
 
J’ai très mal vécu dans cette affaire l’instrumentalisation de mon barreau, non pas dans l’intérêt général des avocats, mais dans l’intérêt particulier de la défense d’un ancien président de la République. D’autant plus mal vécu, que je l’ai vécu de l’intérieur.   

La Cour de cassation a ainsi remis les choses d’équerre, et ce dans l’intérêt bien compris de la grande famille judiciaire, dans son ensemble. 

Pour les avocats dans leur pratique quotidienne, il reste un point sur lequel il convient de prendre garde : l’« attendu » 68 de l’arrêt de la Cour de cassation qui considère, s’agissant des arrêts de la chambre de l’instruction, sans se prononcer sur leur régime au regard du secret de l’enquête et de l’instruction, que ceux-ci sont couverts par le secret professionnel de l’avocat.

Pour la Cour de cassation : 

« un arrêt débattu et rendu en chambre du conseil par une chambre de l'instruction dans le cadre d'une procédure d'instruction est notifié à l'avocat d'une partie en application de l'article 217 du code de procédure pénale, il constitue une information à caractère secret dont l'avocat a eu communication en raison de sa profession et dont la révélation est interdite en application de l'article 226-13 du code pénal, la circonstance que ce document soit ou non couvert par le secret de l'instruction étant indifférente. » (Crim. 18 déc. 2024, n°23-83.178, P).

Cette position, et elle seule, apparait très discutable, car la communication d’un tel arrêt à un tiers peut être justifiée par les nécessités de la défense afin d’avoir un avis, notamment, juridique.

Toutefois, la question des nécessités des droits de la défense n’était pas soulevée sur ce point, seule l’absence de protection par le secret l’était. Il est vrai que ça aurait été le diable qui se mord par la queue que de reconnaitre ainsi, implicitement, l’infraction qui était reprochée à titre principal …  

C’était donc juste pour une « activité doctrinale » qu’un « passionné de procédure pénale (…) a indiqué vouloir consulter l'arrêt par curiosité ». 

Et comme chacun sait, la curiosité est un vilain défaut. 

07/12/2024

Détermination du bâtonnier compétent en fixation des honoraires d’une structure d’exercice

Par son arrêt du 28 novembre 2024 (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s'est prononcée, pour la première fois, sur la question de la compétence en matière de fixation des honoraires en cas de structure d'exercice inter barreaux (Sur ces questions, v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 18e éd., 2024, Dalloz Action, n°741.270 et s.).

La question était de savoir quel bâtonnier est compétent pour connaître d’une procédure en fixation des honoraires concernant une structures d’exercice dont les associés appartiennent à plusieurs barreaux (dite structure inter barreaux). 

Dans son arrêt, la Cour de cassation considère que : 

« 7. Les articles 174 et 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat prévoient que la procédure de contestation des honoraires d'avocat est soumise successivement au bâtonnier de l'ordre des avocats auquel appartient l'avocat concerné puis au premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'ordre est établi. Cette procédure spécifique échappe aux dispositions générales du code de procédure civile relatives à la compétence territoriale.

8. Aux termes de l'article 17.3 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, les structures d'exercice inter-barreaux sont inscrites au tableau de l'ordre de leur siège social et à l'annexe au tableau de chacun des barreaux auprès desquels peuvent postuler les avocats de ladite structure.

9. Il résulte des dispositions de l'article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993, alors en vigueur, selon lesquelles chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société, que seule la société est créancière de l'honoraire.

10. Il s'en déduit que le bâtonnier de l'ordre où est inscrit le siège social d'une société inter-barreaux est seul compétent pour connaître des litiges portant sur la fixation des honoraires de cette société. »  (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP).

En premier lieu, la Cour de Cassation réaffirme le caractère spécifique de la procédure de fixation des honoraires qui échappe ainsi, par sa nature, « aux dispositions de l'article 47 du code de procédure civile » (Civ. 1ère, 9 oct. 2001, n°99-11.897, PCiv. 1ère, 14 mai 1991, n°89-15.175, P) ; « aux prévisions de l'article 58 du code de procédure civile » (Civ. 2ème, 24 mai 2018, n°17-18.458, 17-18.504, P - Civ. 2ème 10 oct. 2024, n°23-12.211, P) ou encore, comme au cas d’espèce, « aux dispositions générales du code de procédure civile relatives à la compétence territoriale » (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP).

En second lieu, et par voie de conséquence, dès lors que : « chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société, que seule la société est créancière de l'honoraire »,  elle en déduit fort logiquement que : « le bâtonnier de l'ordre où est inscrit le siège social d'une société inter-barreaux est seul compétent pour connaître des litiges portant sur la fixation des honoraires de cette société » (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP).

C'est donc bien, comme l'avait déjà jugé la cour d'appel de Paris (Paris, pôle 2, ch. 6, 19 oct. 2017, RG n°16/00402), le bâtonnier du barreau d'inscription de la structure d'exercice qui est compétent, et ce : 

- peu importe le barreau d'appartenance des avocats concernés par les honoraires objets de la fixation, qui ont effectivement traité le dossier et émis les factures ;

- peu importe que ce soit le client ou le cabinet d’avocats qui soient à l’initiative de la procédure. 

Cette solution est parfaitement logique, et se doit d’être approuvée. 

En effet, dès lors que l’on est en présence d'une structure d'exercice, dotée de la personnalité morale, c’est cette dernière qui exerce la profession d’avocat, et il convient, à cet égard, de rappeler, comme a déjà pu le juger la Cour de cassation, que : 

- seule la structure d’exercice est recevable à intenter, en la personne de ses représentants légaux, une action en fixation des honoraires (Civ. 2ème, 15 févr. 2007, n°05-11.056, P). C’est en effet la structure d’exercice qui est alors l’avocat du client.

Un associé d’une structure d’exercice, agissant à titre personnel, ne saurait dès lors intenter une telle action en lieu et place de la structure d’exercice à laquelle il appartient, ni user d’une voie de recours à l’encontre d’une décision rendue en matière de fixation des honoraires de la structure d’exercice à laquelle il appartient ;

- seule la structure d’exercice, et non un ou plusieurs de ses associés, peut être condamnée à restituer les honoraires au client, le fait que la structure d’exercice soit en liquidation judiciaire étant sans incidence à cet égard (Civ. 2ème, 23 mai 2019, n°18-16.429, NP).

Considérer l’inverse reviendrait à dénier la nature même de personne morale que constitue la structure d’exercice. 

Il convient d’insister sur le fait que cette même solution n’a pas vocation à s’appliquer aux groupements d’exercice qui ne possèdent pas la personnalité morale, et notamment aux associations ou Aarpi inter barreaux : la procédure en fixation des honoraires, qui doit alors être impérativement dirigée par ou contre l’avocat personne physique, ressortira alors de la compétence bâtonnier du ou des barreau(x) d'appartenance des avocats concernés (voir aussi :  D. Piau, « Des conséquences en cas de litige de l’absence de personnalité morale des associations d’avocats / Aarpi »).

Cette dernière solution n’est d’ailleurs pas sans poser des difficultés lorsque l’on a eu recours à plusieurs avocats de la même association ou Aarpi appartenant à plusieurs barreaux différents, ce qui est loin d’être un cas d’école. 

10/10/2024

RÈGLES DE LA PROFESSION D'AVOCAT 2025/2026

 Auteur(s) : Stéphane Bortoluzzi, Dominique Piau, Thierry Wickers

Edition : Octobre 2024 - 18e édition

Éditeur : Dalloz



Depuis les précédentes éditions, Henri Ader (1928-2017), le 2 mars 2017, puis André Damien (1930-2019), le 5 mars 2019, nous ont quittés.

Avec eux, disparaissent les derniers témoins des évolutions paradoxales de notre profession pendant plus d’un demi-siècle. Ils doivent nous conduire à garder foi en l’avenir sans jamais oublier notre passé.

Ils étaient avocats avant tout. Cette profession dont André Damien disait qu’elle « est la profession des contradictions, et par là même, elle aboutit à créer des hommes déchirés entre des choix contradictoires ».

Leur intense activité ordinale, au service de l’intérêt général, les amena à s’y intéresser avec passion et érudition, et à en devenir les déontologues attitrés. André Damien, en tira plusieurs ouvrages de référence tenant à l’histoire et au devenir des avocats, à la formation des plus jeunes, ou encore au fonctionnement de nos institutions, et écrivit pendant près de trente ans, de 1975 à 2003, des chroniques régulières dans la Gazette du Palais. Henri Ader, moins présent sur le terrain doctrinal, mis en jambe par un voyage à Moscou que lui organisa Jacques Vergès lors de leur année de Conférence en 1957, préféra celui de l’action, au barreau, au Conseil national des barreaux et à l’Unca.

André Damien avait pris la suite de Jacques Hamelin (1901-1973), dans la rédaction du présent ouvrage en 1973, ouvrage que le bâtonnier Bernard Baudelot avait qualifié d’« Évangile des avocats », et dont il assurera huit éditions successives de 1973 à 2000, dont la 5e en 1987 fut couronnée par l’Académie des sciences morales et politiques du Prix Jean-Baptiste Chevallier, avant de transmettre le témoin à l’occasion de la 10e édition à Henri Ader en 2004 qui en assuma la responsabilité jusqu’à la 14e édition en 2013.

André Damien, aura été le précurseur de l’unification des règles et usages de la profession en élaborant une Tradition du barreau français, résumant l’essentiel de nos principes essentiels et règles déontologiques. Il s’agissait de permettre à tous les ordres, par une délibération conjointe, d’adopter un règlement intérieur national. Si cette ambition ne se réalisa pas, c’est Henri Ader qui, présidant aux destinées de la Commision des règles et usages du Conseil national des barreaux de 1997 à 2002, portera le Règlement intérieur harmonisé (RIH), qui s’en inspire largement, sur les fonts baptismaux. RIH qui deviendra le Règlement intérieur national (RIN) et obtiendra une portée normative, constituant le socle de la déontologie commune des avocats.

Moderniste, André Damien a très tôt déploré que « les structures de la profession d’avocat [soient] demeurées inadaptées à la réforme des institutions », regrettant que le Conseil national des barreaux ne résulte pas de la jonction du barreau de Paris et de la conférence des bâtonniers, lui qui notait, non sans malice, que « Le vice des avocats ce n’est ni la légèreté, ni la cupidité, ni la vanité, c’est la volonté de se diviser à loisir ».

Ardent défenseur du secret professionnel, André Damien en déplorait l’affaiblissement en notant que celui-ci, « selon l’évolution des mentalités, […] est une sorte de curseur sur une réglette mobile dont la position permet de savoir si une société est plus individualiste que collectiviste ou le contraire ».

Prospectif, André Damien constatait qu’« à la différence de ce qui existait de leur temps, la source est devenue la jurisprudence. Un usage n’a plus de valeur s’il résulte d’une consultation d’un bâtonnier ou d’un arrêté disciplinaire; il ne prend son efficacité que si une décision judiciaire lui a conféré force de loi », accompagnant avec son œuvre doctrinale la judiciarisation croissante de la réglementation professionnelle.

Il avait su, magnifiquement, mettre en exergue la responsabilité collective des avocats dans leur autorégulation, en inscrivant en tête de cet ouvrage cette citation de Georges Bernanos : « Notre Règle n’est pas un refuge. Ce n’est pas la règle qui nous garde, c’est nous qui gardons la règle. ».

Plus que jamais, dans un contexte où les évolutions par à-coups se poursuivent, rendant difficile la compréhension des changements réalisés, et l’appréhension de leur cohérence globale, faute d’une refonte totale des textes, ce sont les avocats qui gardent la règle.

L’évolution du présent ouvrage, ainsi que sa pérennité depuis 2000, doivent également beaucoup à Hani Féghali, « l’homme qui murmurait à l’oreille des auteurs », qui a décidé de partir à la retraite, en janvier 2022.

Elle prend en compte, notamment, la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées ainsi que les décrets d’application de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, tels que celui du 30 juin 2022 relatif à la procédure disciplinaire des avocats et celui du 1er décembre 2023 relatif à la formation professionnelle des avocats, ainsi que des dernières décisions du Conseil national des barreaux relatives d’une part, aux principes d’organisation et d’harmonisation des programmes de formation des élèves avocats et, d’autre part, aux modalités d’application de la formation continue des avocats.

L’œuvre de codification des règles de déontologie de la profession s’est également poursuivie par la publication du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats, abrogeant le précédent décret du 12 juillet 2005, préparé par le conseil national des barreaux sans porter atteinte à l’étendue de son pouvoir normatif.

Mais au-delà des textes propres à la profession d’avocat l’environnement économique, consumériste et international dans lequel s’insère l’activité de l’avocat n’est plus confiné à sa stricte réglementation professionnelle, l’avocat se devant d’appréhender et d’intégrer un cadre normatif qui interagi en permanence avec les textes propres à sa profession. C’est particulièrement vrai en matière de rémunération ou de l’exercice de ses différentes missions, pour lesquelles il ne dispose que rarement d’un quelconque monopole, et qui sont régulièrement définies ou réglementées par le législateur, tel qu’en tout dernier lieu s’agissant de la mission d’influence pour le compte d’un Etat étranger.

La jurisprudence, relativement foisonnante, vient progressivement poser les principes de coordinations en la matière, tel que s’agissant de l’incidence du droit de la consommation sur la rémunération de l’avocat, comme elle sera probablement amenée à clarifier le statut d’un plaignant, aux contours encore mal définis, comme partie à part entière dans la procédure disciplinaire.

Poursuivant le travail de refonte entamé avec les précédentes, tout en préservant l’esprit voulu par ses fondateurs, la présente édition vise à présenter les règles et principes essentiels de la profession d’avocat, sa déontologie, tant dans leur fondement que dans leur richesse d’application.

27/10/2023

Nul signe distinctif donc point de décoration sur le costume professionnel !

                                                                                     Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus

 
« L’avocat ne porte aucun signe distinctif avec sa robe ».
 
Le texte est clair et insusceptible d’interprétation : il vise TOUT signe distinctif … sans distinction, et donc, naturellement, les décorations.

Certains prétendent que les décorations ne seraient point concernées car le RIN ne serait pas en mesure d’en réglementer le port, lequel relèverait du Code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite.
 
Il n’y a rien de plus faux ! 
 
On notera, non sans ironie, que les thuriféraires du port des décorations après avoir initialement, vainement, prétendu que ledit code leur en imposait le port, se contentent désormais d’affirmer qu’il en protégerait le port. Gageons qu’ils finiront par reconnaitre que ce port des décorations sur un costume professionnel est parfaitement inopportun …
 
En effet, ledit code se contente simplement, par des dispositions de nature règlementaire, de réglementer le port des décorations sans en faire un droit, et encore moins une liberté fondamentale,  et ne fait nullement obstacle à ce que d’autres dispositions, de nature règlementaire, ne viennent l'interdire.
 
Specialia generalibus derogant ...
 
Surtout, la Cour de cassation a reconnu la pleine compétence des règlements intérieurs sur cette question sans qu'il n'y ait lieu de distinguer suivant la nature des signes distinctifs :
 
« 11. L'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 énonce que les avocats sont des auxiliaires de justice, prêtent serment en ces termes : « Je jure comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » et revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession.
 
12. Selon l'article 17, le conseil de l'ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession, sans préjudice des attributions dévolues au Conseil national des barreaux (CNB).
 
13. Selon l'article 21-1, le CNB unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession.
 
14. En l'absence de disposition législative spécifique et à défaut de disposition réglementaire édictée par le CNB, il entre dans les attributions d'un conseil de l'ordre de réglementer le port et l'usage du costume de sa profession.
 
15. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que les modalités du port et de l'usage du costume intéressaient l'exercice de la profession d'avocat et que le conseil de l'ordre avait le pouvoir de modifier son règlement intérieur sur ce point. » (Cour de cassation, Chambre civile 1, 2 mars 2022, n°20-20.185 - v. aussi : D. Piau, « Costume professionnel et principe d’égalité : nulle distinction ne saurait être admise », Gazette du Palais - 12 Avril 2022 - n°12, p. 21).
 
En outre, s’agissant, plus spécifiquement, du port des décorations (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°313.45 et s.), la Cour de cassation n'a jamais validé ce port au regard du principe d'égalité. Elle avait alors considéré que :
 
« (…) le grief tiré d'une rupture d'égalité entre les justiciables n'a pas été invoqué devant la cour d'appel ; que le moyen, irrecevable en sa troisième branche qui est nouvelle et mélangée de fait, n'est pas fondé pour le surplus ; (…) » (Cour de cassation, Chambre civile 1, 24 octobre 2018, 17-26.166).
 
Et, la cour d’appel de Douai a, elle, très clairement validé une l’interdiction de ce même port de décorations en considérant que :
 
« L’article 3 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, s’il précise que les avocats revêtent dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession, ne décrit pas ce costume.
 
Seul l’arrêté des consuls de la République du 2 Nivôse an II en fait une description en précisant que “aux audiences de tous les tribunaux, les gens de loi et les avoués porteront la toge de laine, fermée sur le devant, à manches larges ; toque noire, cravate pareille à celle des juges ; cheveux longs ou ronds”, ce port de cheveux n’étant manifestement plus d’usage.
 
L’article 3 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 sus-visée précise également que les avocats sont des auxiliaires de justice et en assurant la défense des justiciables, ils concourent au service public de la justice.
 
A ce titre, la volonté d’un barreau, représenté par son conseil de l’ordre, de faire obligation à ses membres, lorsqu’ils se présentent devant une juridiction, pour assister ou représenter un justiciable, de revêtir un costume uniforme, concourt à assurer l’égalité des avocats et à travers celle-ci l’égalité des justiciables, qui est un élément constitutif au droit au procès équitable, les dispositions du code de la Légion d’honneur, de la Médaille militaire et de l’ordre national du Mérite, notamment en ses articles R 66, R 69 et R 193 relatifs au port des insignes de ces trois distinctions ne prévoyant d’obligation du port que sur le costume officiel (grande tenue) ou sur l’uniforme militaire (grande tenue), ce que n’est pas la robe noire d’avocat.
 
L’objectif recherché est bien légitime et l’exigence proportionnée, cette interdiction ne valant que lors des missions de représentation ou d’assistance d’un justiciable devant une juridiction, le conseil de l’ordre du barreau de Lille ayant édicté l’interdiction du port de décoration, non point juste après l’énoncé de ce que l’avocat portait la robe professionnelle dans ses activités judiciaires et à l’occasion des manifestations officielles, mais après avoir énoncé la manière dont l’avocat devait s’adresser aux juges. » (Douai 9 juill. 2020, n°19/05808 - v. aussi : D. Piau, « Costume professionnel et principe d’égalité : nulle distinction ne saurait être admise », Gazette du Palais - 12 Avril 2022 - n°12, p. 21).
 
Au demeurant, toute autre interprétation serait de nature à mettre en cause la légalité même des dispositions de l’article 1.3. du RIN en venant créer une discrimination entre les « signes distinctifs » (v. not. en ce sens : S. Hennette-Vauchez, « Liberté religieuse, discrimination et intersectionnalité (à l’envers). A propos du voile de l’avocate », D. 2023. 1183).    
 
Pas plus que l’on n’a jamais vu de militaire en treillis combattre en portant ses décorations, on conçoit mal, à quel titre et de quel droit, les avocats, défenseurs des libertés, monteraient au front dans les salles d’audience avec ces mêmes décorations.