11/03/2023

Des conséquences en cas de litige de l’absence de personnalité morale des associations d’avocats / Aarpi

Un arrêt rendu par la première chambre civile le 8 mars 2023 (Civ. 1ère, 8 mars 2023, n° 20-16.475, P), destiné à être publié au bulletin, est venu tirer les conséquences de l’absence de personnalité morale des associations d’avocats et Aarpi dans le cadre d’un litige entre un avocat salarié et une Aarpi, ainsi que les associés de cette dernière.
 
 
* L’association, créée par le décret du 10 avril 1954, est la première forme de groupement autorisée aux avocats pour l’exercice en commun de leur profession (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°023.97).
 
Elle est spécifique aux avocats et demeure inconnue des autres professions libérales réglementées.
 
Sa constitution et son fonctionnement reposent sur une convention. Sa caractéristique essentielle est d’être une société de fait, non dotée de la personnalité morale et soumise au régime des sociétés en participation (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°811.61 et s.).
 
L’association / Aarpi, qui fonctionne en fait comme une indivision conventionnelle, est régie par :
 
- les articles 124 à 128-2 du décret du 27 novembre 1991 (Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 124 et s.) ; 
 
Elle ne doit pas être confondue avec l'association régie par la loi du 1er juillet 1901 à laquelle elle n'emprunte que le nom. 

 
* En l’occurrence, une SCP et une SAS d’avocats s’étaient associées, à compter de 2011, au sein d’une AARPI dans le cadre d’un rapprochement entre cabinets d’avocats.
 
En 2016, le contrat de travail d’un avocat salarié, depuis 1996, de la SELAS a été transféré à l’AARPI.
 
Mais l’association tourne court, et en 2017, après 6 ans de mariage, la SELAS est exclue de l’AARPI.
 
L’AARPI propose alors à l’avocat salarié (surprise ...) de rester à temps partiel chez elle, tout en travaillant à temps partiel pour la SELAS exclue …. Ce à quoi cette dernière s'était (sans surprise) opposée …
 
C’est alors que :
 
- le 7 février 2018, après avoir refusé cette modification de son contrat de travail, l'avocat salarié a saisi son bâtonnier d'une demande de conciliation dirigée contre l'AARPI ;
 
- le 2 mars 2018, l’avocats salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail ;
 
- le 9 mai 2018, l’avocat salarié a alors saisi le bâtonnier d’une demande en requalification de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de paiement d'indemnités, demandes dirigées contre l'AARPI ;
 
- le 22 octobre 2018, l’avocat salarié met en cause dans la procédure et conclut à l’encontre de la SELAS ;
 
- le 12 mars 2019, l’avocat salarié sollicite une condamnation solidaire de l'AARPI, de la SELAS ainsi que, pour la première fois, de la SCP.
 
La cour d’appel de Poitiers avait condamné solidairement l’AARPI ainsi que ses associés, la SCP et la SELAS, à payer certaines sommes à l’avocat salarié et ce, au motif que l’AARPI disposerait de la personnalité civile (sic…).

Cela vaut à l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers une double cassation :
 
 
1/ S‘agissant de la condamnation de l’AARPI, celle-ci se heurtait au fait que les associations d’avocat, dont font parties les AARPI, n’ont pas la personnalité morale, comme le rappelle expressément l’article 1871 du code civil, par renvoi de l’article 124 du décret du 27 novembre 1991 (Décr.n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 124).
 
La cassation était, sur ce point, inévitable :
 
« Vu les articles 32 du code de procédure civile, 1871 à 1873 du code civil et 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :
 
9. Selon le premier de ces textes, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
 
10. Il résulte des suivants qu'une AARPI est une société créée de fait qui est soumise au régime des sociétés en participation et qui n'a pas la personnalité morale.
 
11. Pour déclarer recevable l'action de la salariée à l'encontre de l'AARPI, l'arrêt retient que, si celle-ci constitue une société de fait, n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés et ne dispose pas de la personnalité morale, elle peut avoir un avocat pour salarié ou collaborateur et postuler en justice par le ministère d'un avocat, que le contrat de l'avocate salariée lui a été transféré le 1er janvier 2016, qu'elle lui a fixé sa mission, a établi ses fiches de paie et est immatriculée auprès de l'URSSAF, qu'elle a la personnalité civile qui lui permet d'ester en justice et de défendre à l'action de l'avocate salariée et qu'une condamnation serait exécutable à son encontre puisqu'elle est titulaire d'un compte bancaire et d'avoirs.
 
12. En statuant ainsi, alors que, l'AARPI n'étant pas une personne morale, aucune demande ne pouvait être dirigée contre elle, la cour d'appel a violé les textes susvisés. » (Civ. 1ère, 8 mars 2023, n° 20-16.475, P – déjà en ce sens : Paris, pôle 6, ch. 4, 5 déc. 2017, RG n°14/07921).
 
L’absence de personnalité morale de l’Aarpi a pour conséquence qu’AUCUNE demande ne peut être dirigée à son encontre, et qu’elle ne peut, elle-même, formuler AUCUNE demande, seuls les associés de l’Aarpi peuvent ainsi être partie à un litige.
 
 
2/ La cour d’appel avait, en outre, considéré que l’action n’était pas prescrite à l’encontre de la SCP au motif que cette dernière était : « co-employeur solidaire avec la SELAS » et que : « la notification à la SELAS, le 22 octobre 2018, des conclusions de l'avocat salarié, dans le délai de la prescription, l'a interrompue à l'égard de la SCP ».
 
Et ce, en application de l’article 2245 du code civil qui prévoit que :
 
« L'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers. »
 
En effet, il convient de rappeler, à cet égard, que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture (C. trav., art. L. 1471-1), et qu’en l’occurrence la SCP n’avait été personnellement mise en cause dans la procédure que postérieurement à l’expiration du délai de prescription, lequel avait commencé à courir à compter de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par l’avocat salarié.
 
C’était toutefois oublier que la solidarité n’est présumée que si la société est commerciale en application de l’article 1872-1 du code civil ...
 
Un oubli fâcheux, qui faisait que la cassation était, sur ce point, tout aussi inévitable, au motif que :
 
« Vu les articles 2245 et 1872-1, alinéas 1 et 2, du code civil :
 
14. Selon le premier de ces textes, l'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice interrompt le délai de prescription contre tous les autres.
 
15. Aux termes du second, chaque associé d'une société en participation contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers. Toutefois, si les participants agissent en qualité d'associés au vu et au su des tiers, chacun d'eux est tenu à l'égard de ceux-ci des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l'un des autres, avec solidarité, si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas.
 
16. Il en résulte que, si un contrat de travail conclu avec une AARPI confère à ses associés la qualité de co-employeurs en vertu des dispositions légales régissant les sociétés en participation, aucune solidarité n'existe entre associés.
 
17. Pour déclarer recevable l'action de l'avocate salariée à l'encontre de la société [H], l'arrêt retient que celle-ci est co-employeur solidaire avec la société [Y] et que la notification à elle, le 22 octobre 2018, des conclusions de l'avocate salariée, dans le délai de la prescription, l'a interrompue à l'égard de la société [H], de sorte que les demandes de l'avocate salariée à son encontre ne sont pas prescrites.
 
18. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence de solidarité entre les deux co-employeurs, l'interruption de la prescription de l'action à l'égard de l'un demeurait sans effet à l'endroit de l'autre, la cour d'appel a violé les textes susvisés. » (Civ. 1ère, 8 mars 2023, n° 20-16.475, P).
 
Il convient donc d’être prudent lorsque l'on est en présence d'un litige avec une association / Aarpi : il convient, dès le début du litige de mettre en cause TOUS les associés de l’association / Aarpi.
 
Il convient, en outre, de bien vérifier qu’il n’y a pas lieu, le cas échéant, de mettre en cause d’ancien associés de l’association / Aarpi qui peuvent demeurer tenus aux dettes liées à des engagements pris au moment où ils étaient associés. Le régime de l’indivision peut, sur ce point, réserver des surprises …
 
Cette double cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers est toutefois limitée quant à sa portée par la Cour de cassation : elle ne remet pas en cause le principe des condamnations à raison du licenciement, mais elle réduit le nombre de débiteurs de ces mêmes condamnations : seule la SCP demeurant condamnée, les demandes formées contre l'AARPI et la SELAS étant déclarées irrecevables.
 
Sans qu’il n’y ait lieu à renvoi.
 
 
* L’absence de personnalité morale de l’association doit conduire à la plus extrême des prudences en cas de conclusion de contrats, tels qu’emprunts bancaires, constitution de filiales, collaboration libérale  … qui requiert de passer par le truchement des associés : ce sont bien les associés qui sont  les employeurs d’un salarié et non l’association / Aarpi qui n’a pas la personnalité morale, faisant que les condamnations éventuelles devaient être prononcées solidairement à l’encontre des associés, contractuellement engagés vis-à-vis du salarié. Il en est de même s’agissant du contrat de collaboration libérale (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°811.61 et s.).
 
Il demeure possible, et même recommandé en notre sens, de prévoir des clauses de solidarité dans de tels contrats, afin de prévoir expressément la solidarité entre les associés de l’association / Aarpi.
 
On rappellera que s’agissant des partnerships (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°811.81 et s. et 913.33 et s.) constitués conformément aux lois et règlements en vigueur aux États-Unis d’Amérique, ceux-ci, à tous le moins les limited liability partnerships (LLP), voient leur personnalité morale reconnue en France en application de la convention franco-américaine d’établissement du 25 novembre 1959 (Conv. franco-américaine d’établissement du 25 nov. 1959, art. XIV, § 4 et 5), et peuvent donc faire l’objet d’une action dirigée à leur encontre, nonobstant le fait qu’ils ne possèdent pas la personnalité juridique (Civ. 1ère, 17 mars 2011, n°10-30.283, P).
 
En droit anglais, toutefois, le partnerships n’est pas reconnu comme une entité distincte de ses membres.
 
Il convient donc d’être prudent en la matière, d’autant que de nombreux cabinets anglo-saxons ne sont, en réalité, que des groupements d’exercice de droit français (association, SCP, sociétés) dotés d’une dénomination différente et exerçant sous l’enseigne du partnership, auquel cas c’est le groupement d’exercice de droit français qui doit être visé.