29/12/2022

Périmètre de délivrance du permis de communiquer : quand la chambre criminelle ne lâche rien

Un (second) arrêt rendu par la chambre criminelle le 13 décembre 2022 (Crim. 13 déc. 2022, n°22-85.810, P) vient confirmer, en tant que de besoin, la conception restrictive de la notion d’avocat qui l’anime, rejetant toute analyse entrepreneuriale, et surtout l’adage suivant lequel il ne faut jamais essayer de forcer la main à ladite chambre …

Le principe de la libre communication entre la personne détenue et son avocat est un principe fondamental (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°412.232 et s.) qui participe de l’effectivité de l’exercice des droits de la défense (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°471.21 et s.).

Lorsque le client est détenu, cette communication passe par la délivrance, par le juge d’instruction à l’avocat, d’un permis de communiquer.

Il en découle que : « le défaut de délivrance de cette autorisation à chacun des avocats désignés, avant un débat contradictoire tenu en vue de l'éventuelle prolongation de la détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen » (Crim. 12 déc. 2017, n°17-85.757, PCrim. 7 janv. 2020, n° 19-86.465, P - Crim. 10 mars 2021, n°20-86.919, P).

Le problème se posait quant au refus de délivrance par le juge d'instruction d’un permis de communiquer, outre aux avocats choisis, à ceux de leurs collaborateurs et associés respectifs.  

La chambre criminelle avait ainsi considéré qu’aucune disposition conventionnelle ou légale ne faisait obligation au juge d'instruction de délivrer un permis de communiquer aux collaborateurs ou associés d'un avocat choisi, dès lors que ceux-ci n'ont pas été personnellement désignés par le client dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale [qui impose une déclaration au greffier du juge d'instruction ou auprès du chef de l'établissement pénitentiaire qui l’adresse au greffier du juge d'instruction] (Crim. 15 déc. 2021, n° 21-85.670, P).

Saisit d’une QPC, le Conseil constitutionnel n’avait rien trouvé à redire de cette complexité inutile, considérant qu’il n’y avait pas d’atteinte aux droits de la défense dès lors que, d'une part, l’article 115 du  code de procédure pénale tend à garantir la liberté de la personne mise en examen de choisir son avocat (sic…), et d'autre part, la personne mise en examen peut à tout moment de l'information désigner un ou plusieurs avocats, appartenant le cas échéant à un même cabinet, qu'ils soient salariés, collaborateurs ou associés, lesquels peuvent alors solliciter la délivrance d'un permis de communiquer que le juge d'instruction est tenu de leur délivrer (Cons. const. 20 mai 2022, n°2022-994 QPC).
 
En d’autres termes pour le Conseil constitutionnel, cette restriction est destinée à garantir le libre choix de son avocat par le client ….
 
L’argument n’est guère convaincant.
 
Certes, en droit pénal plus qu’ailleurs l’intuitue personnae est probablement plus forte, il n’en demeure pas moins que tout avocat, même pénaliste, travaille avec des associés et des collaborateurs qui ont vocation à intervenir sur tous les dossiers du cabinet ….
 
… Et lorsqu’un client désigne untel avocat comme son avocat, il sait pertinemment, du moins en principe (voir not. Civ. 2ème 9 févr. 2012, n° 10-25.861, P - D. Piau, « L'honoraire, entre passé, présent et avenir », Gazette du Palais 4/6 Mars 2012 p. 13), que l’ensemble des membres du cabinet de son avocat « choisi » sont susceptibles de s’intéresser à son dossier et de suppléer l’avocat maître de l’affaire en cas de besoin : le client choisi plus un, ou plusieurs, cabinet d’avocats qu’un avocat considéré individuellement.  
 
On croyait le problème réglé avec l’intervention du pouvoir réglementaire venu ajouter, avec le Décret n°2022-95 du 31 janvier 2022 relatif au permis de communiquer délivré à l'avocat d'une personne détenue, un nouvel article D.32-1-2 au code de procédure pénale prévoyant que :
 
« La demande de permis de communiquer adressée au juge d'instruction par l'avocat désigné par la personne mise en examen détenue en application de l'article 115, y compris en application du dernier alinéa de cet article, ou par l'avocat commis d'office à sa demande en application de l'article 116, peut indiquer les noms des associés et collaborateurs pour lesquels la délivrance du permis est également sollicitée. Le permis de communiquer est alors établi au nom de ces différents avocats, y compris ceux qui n'ont pas été désignés par la personne mise en examen ou qui n'ont pas été commis d'office.
 
L'avocat désigné ou commis d'office peut, en cours de procédure, demander un permis de communiquer actualisé en modifiant la liste des associés et collaborateurs concernés. (…) »
 
 
C’était sans compter sur la chambre criminelle jamais à bout d’arguments pour nous faire des siennes.
 
Et, on n’allait pas être déçu…
  
De nouveau, un permis de communiquer n’avait été délivré par le juge d’instruction qu’au seul avocat expressément choisi, et non à l’ensemble des avocats associés et collaborateurs de son cabinet comme demandé par lui.
 
Certes, la chambre criminelle reconnait que la délivrance n’a pas été faite en conformité avec les nouvelles dispositions de l’article D. 32-1-2 du codede procédure pénale :
 
« 10. L'article D. 32-1-2 du code de procédure pénale, issu du décret n° 2022-95 du 31 janvier 2022, prévoit que le juge d'instruction établit un permis de communiquer pour les associés et collaborateurs de l'avocat choisi, désignés nominativement par ce dernier, lorsqu'il le sollicite » … (Crim. 13 déc. 2022,n°22-85.810, P).
 
… mais … attention … la question se pose de savoir si la méconnaissance de ces dispositions fait nécessairement grief à la personne détenue s’interroge la chambre criminelle (11ème considérant).
 
Et, la réponse suit juste après :
 
« 13. Il se déduit de cette décision [du Conseil constitutionnel - Cons. const. 20 mai 2022, n°2022-994 QPC, précité], qui entend garantir le libre choix de son avocat par la personne mise en examen, que l'absence de délivrance du permis de communiquer aux collaborateurs et associés de l'avocat choisi, en conformité avec les dispositions de l'article 115 du code de procédure pénale, ne saurait constituer une atteinte aux droits de la défense, garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ceux-ci étant pleinement préservés par la délivrance d'un permis de communiquer aux seuls avocats qu'a choisis la personne mise en examen.
 
14. Dès lors, le demandeur ne saurait se prévaloir d'une violation des droits de la défense prise de la seule absence de délivrance du permis de communiquer aux avocats collaborateurs et associés de l'avocat choisi. » (Crim. 13 déc. 2022,n°22-85.810, P).
 
En d’autres termes, le seul refus par le juge d’instruction de délivrer le permis de communiquer aux collaborateurs et associés de l'avocat choisi ne saurait, en soi, à la différence du défaut de délivrance pure et simple de ce même permis de communiquer à l’avocat choisi, porter atteinte aux droits de la défense.
 
Or, et en l’occurrence, l'avocat désigné, d’une part, se savait indisponible depuis le 7 avril 2022, pour une audience prévue le 5 septembre 2022, et n'aurait fait aucune diligence pour en faire état, et d’autre part, avait, depuis le 31 août 2002, librement accès à son client détenu. Ces seuls motifs, justifiant, pour la chambre criminelle, que soit valablement constaté l'absence de toute atteinte aux droits de la défense de la personne détenue (Crim. 13 déc. 2022, n°22-85.810, P, in fine).
 
Sur le terrain des nullités de procédure, la voie apparait donc étroite pour faire assurer le respect des dispositions du nouvel article D.32-1-2 au code de procédure pénale.
 
Reste à envisager des recours, devant la chambre de l’instruction, directement à l’encontre du permis de communiquer délivré par le juge d’instruction.