20/01/2023

Discipline des avocats : ni plaignant, ni victime, « L’auteur de la réclamation », cet OVNI juridique …

 
A l’occasion d’une affaire médiatique dont une cour d’appel a eu à connaitre jeudi dernier, un article de presse nous apprend que les victimes du comportement d’un avocat ont pu se sentir, à raison, comme de « simples spectateurs » de la procédure qui n’auraient été informés que « par voie de presse ou fortuitement » des avancées du dossier.   
 
Ces impressions sont légitimes et soulèvent un vrai problème et enjeu de la récente réforme de la procédure disciplinaire : celui de la place des plaignants, et en l’occurrence victimes, dans ladite procédure.
 
Jusqu’au 1er juillet 2022, le plaignant, auteur d’une réclamation visant un avocat, qu’il soit avocat ou non, ne savait pas toujours ce que devenait sa réclamation et n’était généralement pas entendu par le conseil de discipline. Il ne connaissait la décision disciplinaire, en réalité le seul dispositif de la décision, que très longtemps plus tard, après qu’elle soit passée en force de chose jugée, et ne pouvait pas intervenir dans la procédure (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°521.95 et s.).
 
Au regard de l’évolution des esprits et des règles européennes et nationales, cette situation est apparue comme une forme d’opacité laissant nécessairement planer le doute sur l’objectivité de la procédure disciplinaire, ainsi que le bien-fondé et la régularité des décisions rendues en la matière, alors même que tel n’est pas le cas.
 
Cette mise à l’écart du plaignant de la procédure disciplinaire, comme s’il n’était pas concerné par celle-ci, favorisait de surcroit les stratégies de défense, amplifiées par le caractère oral de la procédure en la matière, consistant à mettre en cause le plaignant ou la victime avec la probabilité très forte de n’avoir personne pour être contredit à l’audience. L’on a même vu poindre l’invocation de tiers au soutien de la défense d’avocats poursuivis sans que personne, même pas le bâtonnier, autorité de poursuite, ne se soucie de vérifier auprès de ces tiers la pertinence des affirmations les concernant …   
 
Rarement entendu, alors qu’il pouvait l’être, ni informé de la décision, le plaignant, victime, avait ainsi le plus souvent l’impression que l’on se juge vraiment entre nous.
 
Il est dès lors apparu nécessaire d’instituer une clarification et transparence à l’égard du plaignant de la procédure disciplinaire afin de faire disparaître tout doute quant à son équité et sa crédibilité.
 
Les préconisations en la matière figuraient déjà dans le rapport Darrois en 2009, avant d’être reprises dans un rapport de l’Inspection générale de la justice en 2020.
 
A l’arrivée, loin des ambitions affichées, la déception risque, en l’état, d’être très forte.
 
En effet, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, le décret du 30 juin 2022 ainsi que la circulaire du 9 novembre 2022 sont venus accorder une place au plaignant en lui accordant un certain nombre de droit :
 
 
Mais ce « plaignant » qualifié par la loi « d’auteur de la réclamation », ne s’est pas pour autant vu accorder, par les textes, la qualité de partie à la procédure disciplinaire.
 
Les textes n’ont ainsi pas expressément prévu que la décision disciplinaire lui soit notifiée, ni la possibilité pour ce même « auteur de la réclamation », d’interjeter appel de la décision du conseil de discipline, contrairement aux ordonnances du président du conseil de discipline qui viendraient rejeter sa réclamation comme étant irrecevable, manifestement infondée ou non assortie des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé, ni de se pourvoir en cassation à l’encontre des arrêts de la cour d’appel.
 
Toujours dans cet état d’esprit de faire de l’auteur de la réclamation une partie sous la tutelle du bâtonnier ou du procureur général, la circulaire lui impose, lorsqu’il est à l’origine de la saisine de l’instance disciplinaire, de délivre lui-même la convocation devant le conseil de discipline à l’avocat poursuivi, ce qui implique qu’il soit rendu destinataire de l’entier dossier de procédure ainsi que du rapport d’instruction.  
 
Il est intéressant de noter, à cet égard, que s’agissant des officiers publics ministériels l’ordonnance du 13 avril 2022 et le décret du 17 juin 2022 sont venus prévoir un certain nombre de différences notables avec le régime applicable aux avocats, notamment en ce qui concerne le statut du plaignant qui se voit clairement reconnaître la qualité de partie à part entière, et peut ainsi non seulement saisir directement le conseil de discipline, mais encore interjeter appel de la décision  ou se pourvoir en cassation  et que les décisions rendues lui sont intégralement notifiées.
 
Il en est de même dans le régime disciplinaire des autres professions réglementées. C’est ainsi que s’agissant des professions médicales, le pouvoir de l’auteur de la réclamation de faire appel des décisions des chambres disciplinaires de première instance, a été reconnu par loi du 4 mars 2002, et cette évolution a conduit le Conseil d’État à reconnaître la qualité de partie à l’auteur d’une réclamation dans le cadre d’une instance disciplinaire, et donc à avoir qualité et intérêt à se pourvoir en cassation contre la sanction infligée au médecin par la chambre disciplinaire d’appel bien que les textes ne le prévoyaient pas expressément (CE 1er juill. 2019, req. n°411263, Lebon). Le Conseil d’État en avait également décidé ainsi s’agissant des procédures devant les juridictions disciplinaires de l’Ordre des pharmaciens (CE 9 avr. 1993, req. no84014ou la chambre de discipline de la Compagnie nationale des conseils en propriété intellectuelle (CE 17 mai 1999, req. n°180537).
 
Ainsi, si réforme finalement opérée par la loi du 22 décembre 2021 présente des avancées notables, notamment sur les droits pout tout plaignant victime des agissements d’un avocat de saisir l’instance disciplinaire et d’être entendu, elle n’en demeure pas moins très en deçà des régimes applicables en matière de discipline des autres professions réglementées et même … des magistrats.
 
Ce régime de faveur, désormais exorbitant du droit commun, des avocats interpelle …
 
La lecture des textes, des ambiguïtés et des impasses qu’ils contiennent, leur comparaison avec ceux applicables aux officiers publics ministériels pris au même moment, sans que rien, absolument rien, ne vienne objectivement justifier les différences constatées, donnent clairement l’impression que tout a été fait pour mettre en échec l’autonomie du plaignant, auteur de la réclamation, dans la mise en œuvre et la conduite d’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un avocat.
 
Elle démontre que derrière un verni d’apparences pour sauver la face (et les meubles), le barreau n’apparait pas prêt à opérer un changement de mentalités en la matière.
 
L’on n’a pas voulu voir émerger un réel contre-pouvoir au bâtonnier, autorité de poursuite.
 
Un peu comme la question, toujours pendante, de l’application des dispositions relatives à la transparence de la vie publique à ces mêmes institutions ordinales …. (v. D. Piau, "Transparence de la vie publique, les institutions ordinales seraient-elles hors la loi ?", D. actualité 24 janv. 2017).  
 
Le statut de « l’auteur de la réclamation » est ainsi, et c’est volontaire, très ambigu.
 
Il appartiendra à la jurisprudence d’éclaircir le plus rapidement possible les ambiguïtés des textes, notamment quant à la possibilité pour le plaignant, auteur de la réclamation de faire appel des décisions disciplinaires ou de se pourvoir en cassation.
 
En effet, dès lors que le plaignant, auteur de la réclamation, peut saisir l’instance disciplinaire, l’on ne voit pas comment il ne se verrait pas reconnaître la qualité de partie, à part entière, de la procédure disciplinaire qu’il peut mettre en mouvement de manière autonome et contre l’avis de l’autorité de poursuite. Dans ces conditions, l’on voit mal comment il ne pourrait pas, comme toute partie, interjeter appel, de la décision ou se pourvoir en cassation comme a pu le décider le Conseil d’État s’agissant de la procédure disciplinaire des chirurgiens-dentistes et sage-femmes (CE 1er juill. 2019, req. n°411263, Lebon).
 
A défaut on continuera de donner cette impression d’entre soi, qui n’est peut-être finalement pas seulement qu’une impression …

Pour aller plus loin :

16/01/2023

Honoraires de l’avocat : du défaut de transparence de la clause de taux horaire aux conséquences d’une clause abusive portant sur la rémunération

 
L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’union européenne le 12 janvier 2023 (CJUE 12 janv. 2023 D. V. c/ M. A., aff. C395/21) vient apporter un éclairage intéressant sur la question des clauses abusives dans les conventions d’honoraires, et notamment, c’est son apport essentiel (et l’unique point sur lequel portent les conclusions écrites de l’avocat général M. Szpunar), sur les conséquences du caractère abusif d’une clause lorsque cette clause porte sur les modalités de détermination de la rémunération de l’avocat.
 
La CJUE avait déjà eu l’occasion d’affirmer la pleine application du droit de la consommation à la profession d’avocat en 2015 (CJUE 15 janv. 2015 Birute Siba c/Arunas Devenas, aff. C-537/13 ; D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.311 et s.) et plus récemment de se pencher sur le cas des clauses aux termes desquelles le client s’engage à suivre les instructions de son avocat, à ne pas agir à l’insu ou contre l’avis de celui-ci et à ne pas se désister lui-même de la procédure judiciaire dont il lui confié le suivi, sous peine d’une pénalité financière (clauses pénales) (CJUE 22 sept. 2022 Vicente c/ Delia, aff. C-335/21).
 
La Cour de cassation est, pour sa part, récemment venue poser le principe de la compétence du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires, afin d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur, ce qu’il est par ailleurs tenu de faire d’office (CJUE 4 juin 2009 Pannon GSM Zrt. c/ Erzsébet Sustikné Győrfi, aff. C-243/08), tout en se penchant sur le cas des clauses de dédit (Civ. 2ème 27 oct. 2022, n° 21-10.739D. Piau, « Convention d’honoraires et clauses abusives, une première mais pas la dernière … »).
 
C’est cette fois-ci la clause de taux horaire, par laquelle l’avocat prévoit que sa rémunération sera déterminée suivant un taux appliqué au nombre d’heures travaillées sur le dossier qui était en cause.
 
De l’arrêt précité de la CJUE découlent trois enseignements :
 
 
1/ En premier lieu, la CJUE considère que ne répond pas à l’exigence de rédaction claire et compréhensible (exigence de transparence) la clause qui fixe la rémunération de l’avocat selon le principe du tarif horaire, relevant de l’objet principal du contrat, sans que soient communiquées au client ayant la qualité de consommateur, avant la conclusion du contrat, des informations qui lui permettent de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance des conséquences économiques qu’entraîne la conclusion de ce contrat (considérant 45).
 
Mais la CJUE ne se prononce pas sur la qualification de clause abusive.
 
En effet, la législation de la Lituanie, qui était ici en cause, a sur-transposée la directive et expressément prévu, conformément à l’article 8 de la directive 93/13/CEE, que la qualification de « clause abusive » découle du seul fait que la clause ne répond pas à l’exigence de transparence.
 
Et, le caractère transparent d’une clause contractuelle ne constitue que l’un des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif de cette clause qu’il appartient au juge national d’effectuer : il lui appartient ainsi d’évaluer, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire, dans un premier temps, le possible non-respect de l’exigence de bonne foi et, dans un second temps, l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif au détriment du client ayant la qualité de consommateur (considérant 47) (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.321 et s.).
 
Pour autant, l’utilisation d’un taux horaire, voire de taux horaires variables ou différenciés en fonction des avocats intervenants (collaborateurs, associés, suivant expérience et spécialisation, ou encore en fonction du profil des clients, et de la technicité ou des enjeux du dossier), si elle apparaît comme une solution de facilité, rend la facturation peu contrôlable, et génère un défaut de transparence source importante de contentieux.
 
On notera que la Cour de cassation a reconnu que le juge de l’honoraire puisse fixer le montant des honoraires sur la base des critères énumérés à l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 alors même que la convention d’honoraires prévoyait l’application d’un taux horaire dès lors que « la seule appréciation du temps passé est parfaitement arbitraire et surtout impossible à contrôler pour le client » (Civ. 2e, 13 juill. 2006, n°04-18.206, NP).
 
Il convient ainsi de privilégier un taux horaire avec estimation d’honoraire avec plafond ou associé à un suivi précis de diligences effectuées avec clause de révision lorsque certains indicateurs sont dépassés. L’on peut aussi prévoir à la fois des prix forfaitaires, et des prix unitaires, suivant les prestations réalisées, ce qui permet de concilier des prestations non programmables à prix unitaire, avec des prestations définies et prévisibles à prix forfaitaires (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.231 et s.).
 
Car si la clause de taux horaire apparait en sursis sur le terrain des clauses abusives, l’exigence de transparence, et de prévisibilité des honoraires, qui est également exigé au stade de l’obligation d’information préalablement à la conclusion de toute convention d’honoraires (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°712.21 et s.), doit impérativement être remplie à son égard.
 
 
2/ Précisément, et en second lieu, la CJUE reconnait qu’il ne peut pas être exigé d’un avocat qu’il informe le client ayant la qualité de consommateur sur les conséquences financières finales de son engagement, qui dépendent d’évènements futurs, imprévisibles et indépendants de la volonté de l’avocat.
 
Mais, dans tous les cas, les informations que l’avocat est tenu de communiquer avant la conclusion de la convention d’honoraires doivent permettre au client ayant la qualité de consommateur de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance, d’une part, de la possibilité que de tels évènements surviennent et, d’autre part, des conséquences qu’ils sont susceptibles d’entraîner concernant la durée de la mission concernée (considérant 43).
 
La CJUE considère dès lors que ces informations, qui peuvent varier en fonction, d’une part, de l’objet et de la nature des prestations prévues dans la convention d’honoraires ou la lettre de mission et, d’autre part, des règles professionnelles et déontologiques applicables, doivent comporter des indications permettant au consommateur d’apprécier le montant total approximatif des honoraires et peuvent résulter, suivant les cas :
 
- d’une estimation du nombre prévisible ou minimal d’heures nécessaires pour réaliser la mission ;
 
- un engagement d’envoyer, à intervalles raisonnables, des factures ou des rapports périodiques indiquant le nombre d’heures de travail accomplies.
 
Cet engagement doit, naturellement, figurer expressément dans la convention d’honoraires.

Il revient alors au juge national, d’évaluer, en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents entourant la conclusion de la convention d’honoraires, si les informations communiquées par l’avocat avant la conclusion de la convention d’honoraires ont permis au client ayant la qualité de consommateur de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance des conséquences financières qu’entraînait sa conclusion (considérant 44).


3/ Enfin, et surtout, s’agissant des conséquences d’une clause abusive, la CJUE rappelle que le constat du caractère abusif d’une clause doit permettre de rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle du client ayant la qualité de consommateur en l’absence de cette clause abusive (considérant 54).
 
Pour la CJUE, la constatation du caractère abusif de la clause relative au prix entraîne l’obligation du juge national d’écarter son application, sauf si le client ayant la qualité de consommateur s’y oppose. Le rétablissement de la situation dans laquelle se serait trouvé le client ayant la qualité de consommateur en l’absence de cette clause se traduit en principe, y compris dans le cas où les services ont été fournis, par son exonération de l’obligation de payer les honoraires établis sur la base de ladite clause (considérant 58).
 
C’est seulement dans l’hypothèse où l’invalidation des conventions d’honoraires ou lettres de mission dans leur ensemble exposerait le client ayant la qualité de consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de telle sorte que ce dernier en serait pénalisé, que la juridiction de renvoi dispose de la possibilité exceptionnelle de substituer à une clause abusive annulée une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties au contrat en cause, sans que le juge national ne puisse substituer à la clause abusive annulée une estimation judiciaire du niveau de la rémunération due pour lesdits services (considérant 60).
 
Il en découle que, contrairement ce qui se passe en cas d’annulation de la convention d’honoraires, ou de dessaisissement de l’avocat en l’absence de toute clause à ce sujet (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.361 et s.), le juge de l’honoraire ne saurait substituer une évaluation des honoraires dus sur la base des critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971. 
 
Dès lors, l’avocat dont la clause relative à la détermination de la rémunération dans la convention d’honoraires viendrait à être considérée comme abusive devra restituer … l’intégralité des honoraires perçus en application de cette même convention d’honoraires.
 
Il n’est pas certain, à cet égard, que l’on puisse opposer le paiement de tout ou partie des honoraires après services rendus (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°732.51 et s.) à cette obligation restitutoire.
 
Il importe dès lors aux avocats d’être extrêmement vigilant quant aux clauses relatives à la fixation de leur rémunération de leurs conventions d’honoraires au regard du régime des clause abusives.
 
 
On notera, au passage, que la CJUE a eu l’occasion de considérer, dans un arrêt du 7 avril 2022, que dans le cadre d’une procédure juridictionnelle relative au caractère abusif d’une clause, le consommateur doit, en toute circonstance, pouvoir obtenir un remboursement d’un montant raisonnable et proportionné par rapport aux honoraires et frais qu’il a dû objectivement exposer pour intenter un tel recours (CJUE 7 avr. 2022 Caixabank SA, aff. C385/20), et ce nonobstant les éventuels plafonds ou limites procédurales qui résulteraient de la réglementation nationale.
 
Ce dernier arrêt pourrait utilement être invoqué, par l’avocat du consommateur, dans les contentieux relatifs au caractère abusif d’une clause à l’appui d’une demande d’article 700 1° du code de procédure civile (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°723.240 et s.)

08/01/2023

Sanction disciplinaire : autour du principe de (sous-)proportionnalité et de son effectivité

L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 30 décembre 2022 vient illustrer, en marge d’une affaire largement médiatisée, une question désormais récurrente pour les praticiens depuis une dizaines d’années : celle de la proportionnalité des sanctions disciplinaires.
 
En l’occurrence, un professeur d’histoire du droit avait, avec l’aval de son doyen mais contre la volonté de l’université et de son président, pris la tête d’un commando afin de procéder à l’évacuation manu militari d’étudiants qui occupaient, avec d’autres personnes extérieures à l’université, un amphithéâtre dans le cadre d’un mouvement contre la réforme de l’accès à l’université.
 
Sur le plan pénal, poursuivis avec d’autres coprévenus, le professeur d’histoire du droit avait été condamné, en première instance, à une peine de quatorze mois, dont huit mois avec sursis, assortie d’une peine complémentaire d’interdiction de toute fonction ou emploi public pour une durée d’un an, tandis que le doyen de la faculté de droit avait été condamné à une peine de dix-huit mois de prison avec sursis. La cour d’appel ne s’est pas encore prononcée sur ce volet du dossier.
 
Sur le plan disciplinaire, le président de l’université avait engagé des poursuites disciplinaires à l’encontre du doyen de la faculté de droit et du professeur d’histoire du droit. Ils avaient été sanctionnés en première instance, par la section disciplinaire d’une autre université, l’affaire ayant été délocalisée :
 
- par une révocation avec interdiction définitive d’exercer toute fonction dans un établissement public, pour le professeur d’histoire du droit ;
 
- par une interdiction d’exercer toute fonction d’enseignement ou de recherche pour une durée de cinq ans, pour le doyen de la faculté de droit.
 
Le professeur d’histoire du droit avait fait appel devant le Cneser disciplinaire de la décision et ce dernier avait réduit la sanction en une interdiction d’exercer toute fonction d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur pendant quatre ans avec privation de la totalité du traitement. Et ce, au motif qu’il n’était pas possible d’affirmer qu’il aurait été l’organisateur de l’expulsion violente des occupants de l’amphithéâtre, laquelle aurait été organisée sous les instructions du doyen qui s’était, lui, bien gardé de faire appel de sa sanction.
 
Tant le ministère de l’Enseignement supérieur que l’Université, trouvant la sanction trop faible, avaient décidé de se pourvoir en cassation à l’encontre de la décision du Cneser devant le Conseil d’Etat.
 
Pour le Conseil d’Etat, suivant un attendu désormais classique depuis un arrêt de 2014 (CE 30 déc. 2014, req. n°381245) :
 
« 3. Si le choix de la sanction relève de l'appréciation des juges du fond au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n'est pas hors de proportion avec la faute commise et qu'elle a pu dès lors être légalement prise. » (CE 30 déc. 2022, req. n°465304).
 
Puis, analysant les faits de la cause, le Conseil d’Etat considère que :
 
« 4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., professeur des universités affecté à l'université de Montpellier, agrégé de droit, a participé, dans la nuit du 22 au 23 mars 2018, aux événements ayant conduit à l'expulsion violente, avec l'aide notamment de personnes extérieures à l'université, cagoulées et munies de planches de bois et d'un pistolet à impulsion électrique, d'étudiants occupant, dans le cadre d'un mouvement national, un amphithéâtre de cette université, M. A... ayant lui-même porté des coups. Il ressort en outre des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour ces mêmes agissements, le tribunal correctionnel de Montpellier, par un jugement du 2 juillet 2021 contre lequel a été formé appel -sur lequel il n'a pas été statué à la date de la présente décision-, a relevé le caractère prémédité des violences en réunion et la participation directe de M. A... à celles-ci, dans l'université où il exerce comme enseignant-chercheur, l'a jugé coupable de faits de violence commise en réunion suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, en récidive, et de faits de violence commise en réunion sans incapacité, en récidive, et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de quatorze mois, dont huit mois avec sursis, assortie d'une peine complémentaire d'interdiction de toute fonction ou emploi public pour une durée d'un an. Dans ces conditions, en n'infligeant à raison de ces faits à M. A... que la sanction, prévue au 5° de l'article L. 952-8 du code de l'éducation cité au point 2, d'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant quatre ans, avec privation de la totalité de son traitement, et non une sanction prévue par les alinéas suivants de cet article [6° La mise à la retraite d'office ; / 7° La révocation], le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a retenu une sanction hors de proportion avec les fautes commises. » (CE 30 déc. 2022, req. n°465304).
 
Le Conseil d’État se livre ainsi, sous l’influence du droit européen, à un contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires, amorcé avec la discipline des magistrats (CE 27 mai 2009, req. n°310493), des maires (CE 2 mars 2010, req. n°328843), des militaires (CE 12 janv. 2011, req. n°338461), puis des agents publics (CE 13 nov. 2013, req. n°347704), et enfin des professions règlementées, à savoir médicales (CE 30 déc. 2014, req. n°381245) puis des détenus (CE 1er juin 2015, req. n°380449).  
 
En l’occurrence, le Conseil d’Etat considère la sanction comme sous-proportionnée eu égard à la seule gravité des faits commis par le professeur d’histoire du droit.
 
Le Conseil d’Etat ne prononce pas pour autant de sanction, il annule la décision du Cneser et renvoi devant ce même Cneser afin qu’il se prononce à nouveau. La marge de manœuvre est toutefois étroite pour la juridiction de renvoi : ce sera soit la mise à la retraite d'office, soit la révocation.
 
Dans ses conclusions, le rapporteur public s’est montré on ne peut plus clair :
 
« (…)
 
La participation à une action violente préméditée en se plaçant à la tête d’un commando cagoulé et armé et la commission personnelle d’actes de violences physiques graves en donnant de nombreux coups de poings à plusieurs étudiants dans une enceinte universitaire constituent un comportement proprement inqualifiable pour un enseignant-chercheur au regard de l’exigence d’exemplarité qui pèse sur lui. La gravité exceptionnelle de ces agissements rend l’intéressé définitivement indigne des fonctions de professeur des universités, ce dont il s’infère que seule une mesure d’éviction définitive du service peut légalement être infligée, étant précisé qu’à nos yeux la radiation s’impose. » (conc. R. Chambon, Rapporteur public).
 
 
A cet égard, ce n’est qu’en 2017 que la Cour de cassation, emboitant le pas au Conseil d’Etat, mettra en œuvre à son tour un contrôle strict de la proportionnalité, et de la motivation, de la sanction disciplinaire en ce qui concerne les avocats (Civ. 1re, 6 sept. 2017, n°16-13.624, NP (huitième moyen), Gaz. Pal. 3 oct. 2017, p. 21, note D. Piau - Civ. 1re, 31 janv. 2018, n°16-21.614, NP). Il en découle que la motivation des arrêts de la cour d’appel doit être de nature à permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°523.31 et s.).
 
Surtout, comme l’illustre l’arrêt commenté, la Conseil d’Etat n’hésite pas à annuler une décision dont la sanction lui apparaîtrait « par son insuffisance, hors de proportion avec les fautes commises » tel que :
 
- s’agissant d’un enseignant-chercheur qui avait omis d’obtenir une autorisation de cumul avant d'exercer une activité privée lucrative (CE 6 avr. 2016, req. n°389821) ;
 
- s’agissant d’un enseignant qui avait été déclaré coupable d'agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans par personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions (CE 18 juill. 2018, req. n°401527) ;
 
- s’agissant d’un médecin qui n’avait pas informé son patient ni de la nature de sa maladie, ni de sa gravité, ni de la nécessité d'un suivi médical régulier (CE 1er juill. 2019, req. n°420987).
 
A ce jour, la Cour de cassation n’a pas encore eu, à notre connaissance, l’occasion de faire s’agissant de la discipline des avocats.
 
 
Une explication à cette situation se trouve dans la qualité de l’auteur des pourvois en cassation : ce sont, dans la quasi-totalité des cas, les avocats poursuivis, et non l’autorité de poursuite (bâtonnier ou procureur général), qui sont à l’origine des pourvois en cassation. Dès lors, faute de pourvoi incident de l’autorité de poursuite, ne serait-ce que sur la seule proportionnalité de la sanction, la question ne se pose jamais sous cet angle devant la Cour de cassation …
 
Il n’est pas indifférent, à cet égard, de noter que dans deux des quatre précédents devant le Conseil d’Etat, l’auteur du pourvoi n’est pas une autorité de poursuite mais, soit le ministère, dans l’arrêt commenté, étant précisé que l’université avait aussi formé un pourvoi déclaré sans objet par un autre arrêt du même jour (CE 30 déc. 2022, req. n°465292), soit le plaignant, auteur de la réclamation et victime des agissements du médecin dans l’arrêt de 2019 (CE 1er juill. 2019, req. n°420987).  
 
Se pose ainsi la question de la place du plaignant, auteur de la réclamation dans la procédure disciplinaire des avocats (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°521.91 et s.) : l’article 42 de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, ainsi que le décret du 30 juin 2022 et la circulaire du 9 novembre 2022  (Circ.,9 nov. 2022, de présentation de la réforme de la discipline des avocats ; NOR : JUSC2230652C), sont venus accorder un certain nombre de droit au plaignant, auteur de la réclamation (information quant aux suites données à sa réclamation par le bâtonnier ; saisine directe du conseil de discipline), sans pour autant en faire expressément une partie à la procédure disciplinaire.
 
En effet, la loi n’a pas prévu la possibilité pour ce même plaignant, auteur de la réclamation, d’interjeter appel de la décision du conseil de discipline, contrairement aux ordonnances du président du conseil de discipline qui viendrait rejeter sa réclamation comme étant irrecevable, manifestement infondée ou non assortie des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé, ou de se pourvoir en cassation à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel rendu à la suite de sa réclamation.
 
Cette situation est d’autant moins compréhensible que ce même plaignant, auteur de la réclamation, s’est clairement vu reconnaître, au même moment, la qualité de partie à part entière dans la discipline des officiers publics ministériels (notaires, commissaires de justice, …), désormais régie par l'ordonnance du 13 avril 2022 ainsi que le décret du 17 juin 2022, et peut ainsi non seulement saisir directement le conseil de discipline, mais encore interjeter appel de la décision ou se pourvoir en cassation, les décisions rendues lui sont intégralement notifiées (cf. Circulaire du 9 novembre 2022 de présentation de la réforme de la déontologie et de la discipline des officiers ministériels ; NOR : JUSC2231173C).
 
Rien ne justifie une telle différence de traitement.
 
La situation du plaignant, auteur de la réclamation, apparaît ainsi ambiguë dans la procédure disciplinaire concernant les avocats. Pour autant, dans la mesure où il devrait se voir reconnaitre la qualité de partie à l’instance disciplinaire, laquelle découle en notre sens du seul fait qu’il peut personnellement saisir l’instance disciplinaire, l’on voit mal comment il ne pourrait pas, comme toute partie à la procédure, interjeter appel, de la décision ou se pourvoir en cassation. Le Conseil d’État en était arrivé à la même conclusion s’agissant de la procédure disciplinaire des chirurgiens-dentistes et sages-femmes (CE 1er juill. 2019, req. n°411263 – déjà : CE 17 mai 1999, req. n°180537 - CE 9 avr. 1993, req. n°84014).
 
Cette reconnaissance logique, sera, en outre, notamment de nature à permettre un contrôle réel et effectif de la proportionnalité des sanctions disciplinaires par la Cour de cassation.