20/01/2023

Discipline des avocats : ni plaignant, ni victime, « L’auteur de la réclamation », cet OVNI juridique …

 
A l’occasion d’une affaire médiatique dont une cour d’appel a eu à connaitre jeudi dernier, un article de presse nous apprend que les victimes du comportement d’un avocat ont pu se sentir, à raison, comme de « simples spectateurs » de la procédure qui n’auraient été informés que « par voie de presse ou fortuitement » des avancées du dossier.   
 
Ces impressions sont légitimes et soulèvent un vrai problème et enjeu de la récente réforme de la procédure disciplinaire : celui de la place des plaignants, et en l’occurrence victimes, dans ladite procédure.
 
Jusqu’au 1er juillet 2022, le plaignant, auteur d’une réclamation visant un avocat, qu’il soit avocat ou non, ne savait pas toujours ce que devenait sa réclamation et n’était généralement pas entendu par le conseil de discipline. Il ne connaissait la décision disciplinaire, en réalité le seul dispositif de la décision, que très longtemps plus tard, après qu’elle soit passée en force de chose jugée, et ne pouvait pas intervenir dans la procédure (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°521.95 et s.).
 
Au regard de l’évolution des esprits et des règles européennes et nationales, cette situation est apparue comme une forme d’opacité laissant nécessairement planer le doute sur l’objectivité de la procédure disciplinaire, ainsi que le bien-fondé et la régularité des décisions rendues en la matière, alors même que tel n’est pas le cas.
 
Cette mise à l’écart du plaignant de la procédure disciplinaire, comme s’il n’était pas concerné par celle-ci, favorisait de surcroit les stratégies de défense, amplifiées par le caractère oral de la procédure en la matière, consistant à mettre en cause le plaignant ou la victime avec la probabilité très forte de n’avoir personne pour être contredit à l’audience. L’on a même vu poindre l’invocation de tiers au soutien de la défense d’avocats poursuivis sans que personne, même pas le bâtonnier, autorité de poursuite, ne se soucie de vérifier auprès de ces tiers la pertinence des affirmations les concernant …   
 
Rarement entendu, alors qu’il pouvait l’être, ni informé de la décision, le plaignant, victime, avait ainsi le plus souvent l’impression que l’on se juge vraiment entre nous.
 
Il est dès lors apparu nécessaire d’instituer une clarification et transparence à l’égard du plaignant de la procédure disciplinaire afin de faire disparaître tout doute quant à son équité et sa crédibilité.
 
Les préconisations en la matière figuraient déjà dans le rapport Darrois en 2009, avant d’être reprises dans un rapport de l’Inspection générale de la justice en 2020.
 
A l’arrivée, loin des ambitions affichées, la déception risque, en l’état, d’être très forte.
 
En effet, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, le décret du 30 juin 2022 ainsi que la circulaire du 9 novembre 2022 sont venus accorder une place au plaignant en lui accordant un certain nombre de droit :
 
 
Mais ce « plaignant » qualifié par la loi « d’auteur de la réclamation », ne s’est pas pour autant vu accorder, par les textes, la qualité de partie à la procédure disciplinaire.
 
Les textes n’ont ainsi pas expressément prévu que la décision disciplinaire lui soit notifiée, ni la possibilité pour ce même « auteur de la réclamation », d’interjeter appel de la décision du conseil de discipline, contrairement aux ordonnances du président du conseil de discipline qui viendraient rejeter sa réclamation comme étant irrecevable, manifestement infondée ou non assortie des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé, ni de se pourvoir en cassation à l’encontre des arrêts de la cour d’appel.
 
Toujours dans cet état d’esprit de faire de l’auteur de la réclamation une partie sous la tutelle du bâtonnier ou du procureur général, la circulaire lui impose, lorsqu’il est à l’origine de la saisine de l’instance disciplinaire, de délivre lui-même la convocation devant le conseil de discipline à l’avocat poursuivi, ce qui implique qu’il soit rendu destinataire de l’entier dossier de procédure ainsi que du rapport d’instruction.  
 
Il est intéressant de noter, à cet égard, que s’agissant des officiers publics ministériels l’ordonnance du 13 avril 2022 et le décret du 17 juin 2022 sont venus prévoir un certain nombre de différences notables avec le régime applicable aux avocats, notamment en ce qui concerne le statut du plaignant qui se voit clairement reconnaître la qualité de partie à part entière, et peut ainsi non seulement saisir directement le conseil de discipline, mais encore interjeter appel de la décision  ou se pourvoir en cassation  et que les décisions rendues lui sont intégralement notifiées.
 
Il en est de même dans le régime disciplinaire des autres professions réglementées. C’est ainsi que s’agissant des professions médicales, le pouvoir de l’auteur de la réclamation de faire appel des décisions des chambres disciplinaires de première instance, a été reconnu par loi du 4 mars 2002, et cette évolution a conduit le Conseil d’État à reconnaître la qualité de partie à l’auteur d’une réclamation dans le cadre d’une instance disciplinaire, et donc à avoir qualité et intérêt à se pourvoir en cassation contre la sanction infligée au médecin par la chambre disciplinaire d’appel bien que les textes ne le prévoyaient pas expressément (CE 1er juill. 2019, req. n°411263, Lebon). Le Conseil d’État en avait également décidé ainsi s’agissant des procédures devant les juridictions disciplinaires de l’Ordre des pharmaciens (CE 9 avr. 1993, req. no84014ou la chambre de discipline de la Compagnie nationale des conseils en propriété intellectuelle (CE 17 mai 1999, req. n°180537).
 
Ainsi, si réforme finalement opérée par la loi du 22 décembre 2021 présente des avancées notables, notamment sur les droits pout tout plaignant victime des agissements d’un avocat de saisir l’instance disciplinaire et d’être entendu, elle n’en demeure pas moins très en deçà des régimes applicables en matière de discipline des autres professions réglementées et même … des magistrats.
 
Ce régime de faveur, désormais exorbitant du droit commun, des avocats interpelle …
 
La lecture des textes, des ambiguïtés et des impasses qu’ils contiennent, leur comparaison avec ceux applicables aux officiers publics ministériels pris au même moment, sans que rien, absolument rien, ne vienne objectivement justifier les différences constatées, donnent clairement l’impression que tout a été fait pour mettre en échec l’autonomie du plaignant, auteur de la réclamation, dans la mise en œuvre et la conduite d’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un avocat.
 
Elle démontre que derrière un verni d’apparences pour sauver la face (et les meubles), le barreau n’apparait pas prêt à opérer un changement de mentalités en la matière.
 
L’on n’a pas voulu voir émerger un réel contre-pouvoir au bâtonnier, autorité de poursuite.
 
Un peu comme la question, toujours pendante, de l’application des dispositions relatives à la transparence de la vie publique à ces mêmes institutions ordinales …. (v. D. Piau, "Transparence de la vie publique, les institutions ordinales seraient-elles hors la loi ?", D. actualité 24 janv. 2017).  
 
Le statut de « l’auteur de la réclamation » est ainsi, et c’est volontaire, très ambigu.
 
Il appartiendra à la jurisprudence d’éclaircir le plus rapidement possible les ambiguïtés des textes, notamment quant à la possibilité pour le plaignant, auteur de la réclamation de faire appel des décisions disciplinaires ou de se pourvoir en cassation.
 
En effet, dès lors que le plaignant, auteur de la réclamation, peut saisir l’instance disciplinaire, l’on ne voit pas comment il ne se verrait pas reconnaître la qualité de partie, à part entière, de la procédure disciplinaire qu’il peut mettre en mouvement de manière autonome et contre l’avis de l’autorité de poursuite. Dans ces conditions, l’on voit mal comment il ne pourrait pas, comme toute partie, interjeter appel, de la décision ou se pourvoir en cassation comme a pu le décider le Conseil d’État s’agissant de la procédure disciplinaire des chirurgiens-dentistes et sage-femmes (CE 1er juill. 2019, req. n°411263, Lebon).
 
A défaut on continuera de donner cette impression d’entre soi, qui n’est peut-être finalement pas seulement qu’une impression …

Pour aller plus loin :