19/12/2022

La secrétaire, le secret professionnel et les chambres de la Cour de cassation …

Deux arrêts rendus, l’un par la chambre commerciale le 16 novembre 2022 (Cass. Com., 16 nov. 2022, n°21-17.338, P), l’autre par la chambre criminelle le 13 décembre 2022 (Crim. 13 déc. 2022, n° 21-87.435, P) viennent, à moins d’un mois d’intervalle, résoudre, en des solutions … contraires, une problématique récurrente liée à la protection du secret professionnel et de la confidentialité des échanges entre avocat ...
 
La problématique est celle qui consiste à savoir quel sens et portée donner au mot « avocat » dans les textes, et notamment dans l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 protégeant le secret professionnel de l’avocat.
 
Faut-il en avoir une analyse restrictive, et n’y voir que les seuls titulaires du titre d’avocat, ou faut-il en faire une analyse entrepreneuriale et y entendre le cabinet d’avocat dans son ensemble incluant, notamment, ses salariés (juristes, secrétaires, etc…).
 
Si l’on analyse la jurisprudence dans son ensemble, au-delà de la seule question du secret professionnel, force est de constater qu’il n’y a aucune unité en la matière et que le terme « avocat » est tantôt analysé dans un sens, tantôt dans l’autre, en fonction de la finalité des textes et de la portée que l’on souhaite leur donner.  
 
Et, le sujet, qui pourrait donner lieu à une thèse, est loin d’être épuisé avec la seule question des salariés, dès lors qu’elle inclut aussi les prestataires extérieurs auquel l’avocat peut avoir recours (externalisation, outsourcing), tel que les secrétariats externes (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°412.307).
 
Les textes ont, à cet égard, prévu que l’avocat doit faire respecter le secret par les membres du personnel de son cabinet ainsi que par toute personne qui coopère avec lui dans son activité professionnelle (article 2.3 du Règlement intérieur national) (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°422.81 et s.).
 
Le personnel salarié des cabinets d’avocat est d’ailleurs expressément tenu de respecter ce même secret professionnel, aux termes de l’article 11 de la convention collective des avocats et de leur personnel, dont le deuxième alinéa prévoit qu’il : « doit observer la discrétion la plus absolue quant aux affaires et aux frais dont il a pu avoir connaissance en raison de ses fonctions ou même de sa simple présence à l’étude ou cabinet ; il est tenu au secret professionnel et la violation de celui-ci constitue une faute grave » (Conv. coll. nat. du personnel des cabinets d’avocats, 20 févr. 1979 (IDCC :1000), art. 11).
 
Mais cette obligation de respecter les termes du secret professionnel n’en fait pas pour autant des dépositaires de ce même secret.
 
 
- Dans l’affaire intéressant la chambre commerciale, dans le cadre d’une discussion relative à la prescription d’une action en justice, l’une des parties avait communiqué dans la procédure un protocole d’accord transactionnel reçu par son avocat de l’avocat d’une autre partie à la procédure.
 
La transmission ne mentionnait pas que l’échange était « Officiel » (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°484.281 et s).
 
Mais, et surtout, le courriel de transmission n’avait pas été émis par l’avocat en personne mais par sa secrétaire.
 
La cour d’appel avait considéré que le courriel et ses annexes étaient couverts par la confidentialité des échanges entre avocats dès lors qu’il portait clairement comme objet le nom des parties et du dossier concerné et précisait la nature des pièces jointes, et ne portait pas la mention « Officiel ».
 
L’auteur du pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir ainsi intégré dans le champ de protection du secret professionnel une correspondance adressée par la secrétaire d'un avocat et non par l’avocat lui-même.  
 
La chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que :
 
« 10. Après avoir énoncé qu'il résulte de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article 3-1 du règlement intérieur national de la profession d'avocat que les correspondances entre avocats et/ou entre un avocat et son client ne peuvent être produites en justice, sans aucune exception, et que leur production ne peut être légitimée par l'exercice des droits de la défense, sauf pour la propre défense de l'avocat, l'arrêt retient que, quand bien même seraient-elles échangées par courriel entre la secrétaire d'un avocat et un avocat, les correspondances entre avocats portant clairement comme objet le nom des parties et du dossier concerné et précisant la nature des pièces jointes, ces correspondances sont couvertes par le même secret, dès lors qu'elles ne portent pas la mention « officielle ». Il relève qu'en l'espèce, la société Conforama a produit en pièce n° 50 un document dont il résulte qu'elle l'a obtenu par courriel de son avocat, qui lui-même l'avait reçu du cabinet de son confrère le 30 juin 2017, mentionnant expressément qu'il s'agissait d'une transmission concernant un dossier « Industria Conciaria V / Mab Lt + HPRE » et qu'un « protocole d'accord transactionnel » était joint, sans toutefois mentionner le caractère « officiel » de cette transmission.
 
11. De ces constatations et appréciations, c'est à bon droit que, peu important les conditions de leur transmission et l'auteur de leur production, la cour d'appel a déduit que les pièces en cause étaient couvertes par le secret professionnel de l'avocat et ne pouvaient être produites en justice. » (Cass. Com., 16 nov. 2022, n°21-17.338, P)
 
 
- Dans l’affaire intéressant la chambre criminelle, dans le cadre de l'information judiciaire, un juge d'instruction avait prescrit l'interception des communications téléphoniques sur la ligne attribuée à la compagne d’un suspect alors en fuite.
 
Comme souvent en la matière ces écoutes, bien que ne visant pas directement un avocat, avaient conduit à l’interception de communications entre la cible de l’écoute et des cabinets d’avocats. C’est ce que l’on appelle des « écoutes incidentes » en tant qu’elles conduisent « incidemment » à intercepter la communication d’un avocat (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°414.190 et s). Elles constituent le principal point de difficulté en la matière, les écoutes téléphoniques visant directement un avocat étant, dans les faits, extrêmement rares (une dizaine au plus par an) et réservées à des comportements d’une gravité notable (v. aussi, D. Piau, « Le bâtonnier, protecteur et confident nécessaire de ses confrères, là est la victoire, et elle est belle ! »,D. actualité, 6 avr. 2016).
 
Interpellé, puis mis en examen, l'ex-suspect en cavale avait formé une demande d'annulation des procès-verbaux portant retranscription des conversations entre sa compagne et différents cabinets d'avocats.
 
Parmi ces conversations se trouvait des conversations avec les secrétaires de ces mêmes cabinets et non les avocats eux-mêmes.
 
La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que :
 
« Sur les conversations transcrites entre les secrétaires des avocats et Mme [S] (cotes D 395 et D 396)
 
7. Pour rejeter le moyen d'annulation pris de l'irrégularité de la transcription de deux conversations interceptées sur la ligne téléphonique de Mme [S], l'arrêt attaqué retient qu'elles ne concernent pas des échanges avec des avocats mais avec leur secrétariat et qu'elles n'entrent pas dans le champ de l'interdiction de la loi.
 
8. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des dispositions de l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale. » (Crim. 13 déc. 2022, n° 21-87.435, P).
 
Le bilan ?
 
L’on se retrouve ainsi avec deux arrêts qui :
 
1/ Pour l’un, considère, pour la première fois (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°422.41 et s.), qu’un courriel adressé non pas directement par un avocat mais par un salarié de celui-ci, en l’occurrence sa secrétaire, bénéfice de la confidentialité des échanges entre avocats, et donc de la protection du secret professionnel, dès lors qu’il ressort clairement de celui-ci qu’il matérialise bien, dans son intention, l’existence d’un échange entre avocats ;
 
2/ Pour l’autre, estime que des échanges avec non pas des avocats mais avec leur secrétariat n'entrent pas dans le champ du secret professionnel.
 
Certes la position de la chambre commerciale peut être qualifiée de novatrice en ce sens qu’elle ne relevait pas de l’évidence et ne connaissait point de précédent.
 
Elle se rattache, à cet égard, à une évolution jurisprudentielle récente qui tend de plus en plus, à analyser de manière subjective, et non plus objective, le champ de protection du secret professionnel (sur cette évolution, v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°412.54 et s. ; n°412.137 ; et n°422.62 et s.).
 
On avait même pu croire que la chambre criminelle avait, au détour d’un arrêt non publié, détail qui a son importance, adopté la même démarche concernant des correspondances échangées en interne dans une entreprise et pour lesquelles elle notait que : « bien que ces pièces n'émanent pas ou ne sont pas adressées à un avocat, elles reprennent une stratégie de défense mise en place (l'avocat ayant étudié la possibilité de recourir au statut de demandeur à la clémence pour l'exclure ensuite) par le cabinet [H] [Z], » (Crim. 26 janv. 2022, n° 17-87.359, F-D).
 
Il devait s’agir d’un moment d’égarement de sa part, et force est de constater que la chambre criminelle est rapidement revenue à l’extrême rigueur hivernale de sa doctrine sur le sujet.
 
Ces désaccords sur la question du secret professionnel entre une chambre commerciale, attachée à la protection de l’ordre public économique, et ainsi plus respectueuse du secret professionnel de l’avocat, et une chambre criminelle, attachée, quant à elle, à la protection de l’ordre public pénal, ne sont pas nouveaux et ont même un caractère « historique ».
 
On les retrouve, de manière très nette, sur la question des perquisitions ainsi que des opérations de visites et saisies, domaine dans lequel les deux chambres ont, selon les opérations concernées, compétence (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°414.152).
 
Pour les avocats cette situation est un facteur notable d’insécurité juridique.
 
A une question simple : ma secrétaire est-elle considérée comme un dépositaire du secret professionnel ?
 
Une réponse toute aussi simple : on n’en sait rien !
 
On en arrive à ce paradoxe où la secrétaire se doit d’appliquer scrupuleusement les règles en la matière, notamment de préciser, si cela s’avère nécessaire, le caractère « Officiel » d’une correspondance (arrêt de la chambre commerciale) … sans que, pour autant, dans l’hypothèse où cette correspondance ne mentionnerait pas qu’elle a un caractère « Officiel », ou qu’elle n’en remplirait pas les conditions, sa protection au regard du secret professionnel soit garantie (arrêt de la chambre criminelle).  
 
La plus extrême prudence doit donc être de mise en la matière. Et il convient de privilégier les doubles signatures ainsi que les envois « transparents » (ne faisant apparaitre que l’avocat comme expéditeur) afin d’éviter toute difficulté.