28/10/2022

Convention d’honoraires et clauses abusives, une première mais pas la dernière …

Cass. 2e civ., 27 oct. 2022, n° 21-10.739, F-B

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 27 octobre 2022 (Cass.2e civ., 27 oct. 2022, n° 21-10.739, F-B) vient, pour la première fois, reconnaître le caractère abusif d’une clause, en l’occurrence de dédit, contenue dans la convention d’honoraires conclue entre un avocat et son client (v. déjà toutefois, s’agissant d’une clause compromissoire dans un contexte de droit international : Civ.1re 30 sept. 2020, n°18-19.241).

L’application du régime des clauses abusives aux relations entre les avocats et leurs clients, consommateurs ou non-professionnels, a été clairement affirmée par la CJUE en 2015 (CJUE 15 janv. 2015, Birute Siba c/Arunas Devenas, aff. C-537/13 ; D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.311 et s.).

Par son arrêt précité, que nous approuvons pleinement, la Cour de cassation :


1/ Pose le principe de la compétence du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires, afin d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur (9ème considérant).

La question de cette compétence pouvait se poser, compte tenu du fait que le premier président n’est, notamment, point compétent pour statuer sur la validité du mandat liant l’avocat à son client.

Pour autant elle se justifie pleinement dès lors que la finalité des pouvoirs du juge en la matière est de permettre la détermination (fixation) du montant des honoraires. Ni plus, ni moins (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°741.162 et s.).

 

2/ Approuve le premier président en ce qu’il a considéré comme abusives « deux clauses, respectivement prévues par les articles III-1 et V-5-5 de la convention d'honoraires », lesquelles « étaient contradictoires quant à leur montant, le premier article prévoyant qu'en cas de dessaisissement de l'avocat par le client, les honoraires forfaitaires de 3 500 euros TTC restaient dus en totalité et le second que les indemnités de dédit ne pouvaient dépasser 2 500 euros HT, soit 3 000 euros TTC ».

En effet, ces clauses avaient chacune, pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au contrat, dès lors que, d'une part, l'avocat obtiendrait de son client, le paiement de la totalité des honoraires ou leur quasi-totalité alors qu'il n'avait effectué que deux prestations sur les six qu'il s'était engagé à effectuer pour le montant forfaitaire fixé et que les deux montants du dédit apparaissaient disproportionnés avec les diligences réalisées, d'autre part, qu'il n'est nullement prévu, en cas de « dessaisissement » anticipé par l'avocat, une clause de dédit en faveur du client (11ème considérant).

Cet arrêt ne vient nullement remettre en cause la validité même des clauses de dédit - distinctes des clauses de dessaisissement relatives aux honoraires dus après la rupture en raison des prestations effectivement réalisées par l’avocat pour le compte de l’ancien client, les moyens du pourvoi opérant une confusion sur cette distinction - destinées à contractualiser les conséquences, financières, de la rupture du mandat liant l’avocat à son client (Civ. 2e, 13 juin 2013, n°12-21.300,NP ; Sur cette question :  v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°484.281 et s. ; D. Piau, « Honoraires : portée des clauses de dessaisissement et étendue de la compétence du juge de l’honoraire, des précisions bienvenues » : Gaz. Pal. 16 févr. 2016, p. 14 ; D. Piau, « Rupture d’une relation de clientèle : les histoires d’A finissent mal, en général » ; Gaz. Pal. 15 mars 2016, p. 27).

Il impose toutefois, la plus grande prudence lorsqu’une telle clause est convenue avec un client ayant la qualité de consommateur ou de non-professionnel, auquel cas :

 

- Elle ne doit pas conduire l’avocat à percevoir un dédit apparaissant disproportionné au regard des diligences réalisées à la date de la rupture.  

Un équilibre dans la rédaction des clauses de dédit doit ainsi être trouvé sur un point où, trop souvent, les clauses prévoient un montant égal, voire supérieur …, au forfait d’honoraires convenu entre l’avocat et son client dans le cadre de la convention d’honoraires.

De telles rédactions sont d’autant plus problématiques que, d’une part, elles conduisent à faire obstacle à la rupture de la relation entre l’avocat et son client au mépris du principe, d’ordre public, du libre choix de l’avocat par le client (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°471.81 et s.), et d’autre part, elles caractérisent des clauses faisant obstacle à la résiliation du mandat, irréfragablement présumées comme étant abusives par l’article R. 212-1 du code de la consommation (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.323) ;

 

- Elle doit prévoir un dédit en faveur du client en cas de dessaisissement anticipé du dossier par l'avocat lui-même.

Il importe dès lors aux avocats de s'interroger sur la portée des clauses de leurs conventions d’honoraires (et pas uniquement les clauses de dédit) au regard du régime des clause abusives.

« Est abusive la clause de la convention d'honoraires qui ... », une musique que l’on risque d’entendre régulièrement ces prochaines années ...