16/01/2023

Honoraires de l’avocat : du défaut de transparence de la clause de taux horaire aux conséquences d’une clause abusive portant sur la rémunération

 
L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’union européenne le 12 janvier 2023 (CJUE 12 janv. 2023 D. V. c/ M. A., aff. C395/21) vient apporter un éclairage intéressant sur la question des clauses abusives dans les conventions d’honoraires, et notamment, c’est son apport essentiel (et l’unique point sur lequel portent les conclusions écrites de l’avocat général M. Szpunar), sur les conséquences du caractère abusif d’une clause lorsque cette clause porte sur les modalités de détermination de la rémunération de l’avocat.
 
La CJUE avait déjà eu l’occasion d’affirmer la pleine application du droit de la consommation à la profession d’avocat en 2015 (CJUE 15 janv. 2015 Birute Siba c/Arunas Devenas, aff. C-537/13 ; D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.311 et s.) et plus récemment de se pencher sur le cas des clauses aux termes desquelles le client s’engage à suivre les instructions de son avocat, à ne pas agir à l’insu ou contre l’avis de celui-ci et à ne pas se désister lui-même de la procédure judiciaire dont il lui confié le suivi, sous peine d’une pénalité financière (clauses pénales) (CJUE 22 sept. 2022 Vicente c/ Delia, aff. C-335/21).
 
La Cour de cassation est, pour sa part, récemment venue poser le principe de la compétence du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires, afin d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur, ce qu’il est par ailleurs tenu de faire d’office (CJUE 4 juin 2009 Pannon GSM Zrt. c/ Erzsébet Sustikné Győrfi, aff. C-243/08), tout en se penchant sur le cas des clauses de dédit (Civ. 2ème 27 oct. 2022, n° 21-10.739D. Piau, « Convention d’honoraires et clauses abusives, une première mais pas la dernière … »).
 
C’est cette fois-ci la clause de taux horaire, par laquelle l’avocat prévoit que sa rémunération sera déterminée suivant un taux appliqué au nombre d’heures travaillées sur le dossier qui était en cause.
 
De l’arrêt précité de la CJUE découlent trois enseignements :
 
 
1/ En premier lieu, la CJUE considère que ne répond pas à l’exigence de rédaction claire et compréhensible (exigence de transparence) la clause qui fixe la rémunération de l’avocat selon le principe du tarif horaire, relevant de l’objet principal du contrat, sans que soient communiquées au client ayant la qualité de consommateur, avant la conclusion du contrat, des informations qui lui permettent de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance des conséquences économiques qu’entraîne la conclusion de ce contrat (considérant 45).
 
Mais la CJUE ne se prononce pas sur la qualification de clause abusive.
 
En effet, la législation de la Lituanie, qui était ici en cause, a sur-transposée la directive et expressément prévu, conformément à l’article 8 de la directive 93/13/CEE, que la qualification de « clause abusive » découle du seul fait que la clause ne répond pas à l’exigence de transparence.
 
Et, le caractère transparent d’une clause contractuelle ne constitue que l’un des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif de cette clause qu’il appartient au juge national d’effectuer : il lui appartient ainsi d’évaluer, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire, dans un premier temps, le possible non-respect de l’exigence de bonne foi et, dans un second temps, l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif au détriment du client ayant la qualité de consommateur (considérant 47) (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.321 et s.).
 
Pour autant, l’utilisation d’un taux horaire, voire de taux horaires variables ou différenciés en fonction des avocats intervenants (collaborateurs, associés, suivant expérience et spécialisation, ou encore en fonction du profil des clients, et de la technicité ou des enjeux du dossier), si elle apparaît comme une solution de facilité, rend la facturation peu contrôlable, et génère un défaut de transparence source importante de contentieux.
 
On notera que la Cour de cassation a reconnu que le juge de l’honoraire puisse fixer le montant des honoraires sur la base des critères énumérés à l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 alors même que la convention d’honoraires prévoyait l’application d’un taux horaire dès lors que « la seule appréciation du temps passé est parfaitement arbitraire et surtout impossible à contrôler pour le client » (Civ. 2e, 13 juill. 2006, n°04-18.206, NP).
 
Il convient ainsi de privilégier un taux horaire avec estimation d’honoraire avec plafond ou associé à un suivi précis de diligences effectuées avec clause de révision lorsque certains indicateurs sont dépassés. L’on peut aussi prévoir à la fois des prix forfaitaires, et des prix unitaires, suivant les prestations réalisées, ce qui permet de concilier des prestations non programmables à prix unitaire, avec des prestations définies et prévisibles à prix forfaitaires (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.231 et s.).
 
Car si la clause de taux horaire apparait en sursis sur le terrain des clauses abusives, l’exigence de transparence, et de prévisibilité des honoraires, qui est également exigé au stade de l’obligation d’information préalablement à la conclusion de toute convention d’honoraires (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°712.21 et s.), doit impérativement être remplie à son égard.
 
 
2/ Précisément, et en second lieu, la CJUE reconnait qu’il ne peut pas être exigé d’un avocat qu’il informe le client ayant la qualité de consommateur sur les conséquences financières finales de son engagement, qui dépendent d’évènements futurs, imprévisibles et indépendants de la volonté de l’avocat.
 
Mais, dans tous les cas, les informations que l’avocat est tenu de communiquer avant la conclusion de la convention d’honoraires doivent permettre au client ayant la qualité de consommateur de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance, d’une part, de la possibilité que de tels évènements surviennent et, d’autre part, des conséquences qu’ils sont susceptibles d’entraîner concernant la durée de la mission concernée (considérant 43).
 
La CJUE considère dès lors que ces informations, qui peuvent varier en fonction, d’une part, de l’objet et de la nature des prestations prévues dans la convention d’honoraires ou la lettre de mission et, d’autre part, des règles professionnelles et déontologiques applicables, doivent comporter des indications permettant au consommateur d’apprécier le montant total approximatif des honoraires et peuvent résulter, suivant les cas :
 
- d’une estimation du nombre prévisible ou minimal d’heures nécessaires pour réaliser la mission ;
 
- un engagement d’envoyer, à intervalles raisonnables, des factures ou des rapports périodiques indiquant le nombre d’heures de travail accomplies.
 
Cet engagement doit, naturellement, figurer expressément dans la convention d’honoraires.

Il revient alors au juge national, d’évaluer, en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents entourant la conclusion de la convention d’honoraires, si les informations communiquées par l’avocat avant la conclusion de la convention d’honoraires ont permis au client ayant la qualité de consommateur de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance des conséquences financières qu’entraînait sa conclusion (considérant 44).


3/ Enfin, et surtout, s’agissant des conséquences d’une clause abusive, la CJUE rappelle que le constat du caractère abusif d’une clause doit permettre de rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle du client ayant la qualité de consommateur en l’absence de cette clause abusive (considérant 54).
 
Pour la CJUE, la constatation du caractère abusif de la clause relative au prix entraîne l’obligation du juge national d’écarter son application, sauf si le client ayant la qualité de consommateur s’y oppose. Le rétablissement de la situation dans laquelle se serait trouvé le client ayant la qualité de consommateur en l’absence de cette clause se traduit en principe, y compris dans le cas où les services ont été fournis, par son exonération de l’obligation de payer les honoraires établis sur la base de ladite clause (considérant 58).
 
C’est seulement dans l’hypothèse où l’invalidation des conventions d’honoraires ou lettres de mission dans leur ensemble exposerait le client ayant la qualité de consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de telle sorte que ce dernier en serait pénalisé, que la juridiction de renvoi dispose de la possibilité exceptionnelle de substituer à une clause abusive annulée une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties au contrat en cause, sans que le juge national ne puisse substituer à la clause abusive annulée une estimation judiciaire du niveau de la rémunération due pour lesdits services (considérant 60).
 
Il en découle que, contrairement ce qui se passe en cas d’annulation de la convention d’honoraires, ou de dessaisissement de l’avocat en l’absence de toute clause à ce sujet (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°713.361 et s.), le juge de l’honoraire ne saurait substituer une évaluation des honoraires dus sur la base des critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971. 
 
Dès lors, l’avocat dont la clause relative à la détermination de la rémunération dans la convention d’honoraires viendrait à être considérée comme abusive devra restituer … l’intégralité des honoraires perçus en application de cette même convention d’honoraires.
 
Il n’est pas certain, à cet égard, que l’on puisse opposer le paiement de tout ou partie des honoraires après services rendus (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°732.51 et s.) à cette obligation restitutoire.
 
Il importe dès lors aux avocats d’être extrêmement vigilant quant aux clauses relatives à la fixation de leur rémunération de leurs conventions d’honoraires au regard du régime des clause abusives.
 
 
On notera, au passage, que la CJUE a eu l’occasion de considérer, dans un arrêt du 7 avril 2022, que dans le cadre d’une procédure juridictionnelle relative au caractère abusif d’une clause, le consommateur doit, en toute circonstance, pouvoir obtenir un remboursement d’un montant raisonnable et proportionné par rapport aux honoraires et frais qu’il a dû objectivement exposer pour intenter un tel recours (CJUE 7 avr. 2022 Caixabank SA, aff. C385/20), et ce nonobstant les éventuels plafonds ou limites procédurales qui résulteraient de la réglementation nationale.
 
Ce dernier arrêt pourrait utilement être invoqué, par l’avocat du consommateur, dans les contentieux relatifs au caractère abusif d’une clause à l’appui d’une demande d’article 700 1° du code de procédure civile (D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°723.240 et s.)