05/11/2011

Le Bâtonnier et le Conseil Régional de Discipline, ou comment revisiter la fable du lièvre et de la tortue ...


La Loi n°2004-130 du 11 Février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques était venue réformer en profondeur la procédure disciplinaire afin, notamment, de séparer les rôles de l'autorité de poursuite de celle de jugement et avait, à cet effet mis en place les Conseil Régionaux de Discipline dans le ressort de chaque Cour d'Appel, à l'exception du Barreau de Paris lequel demeure régi par des dispositions spécifiques (cette spécificité ayant été validée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n°2011-179 QPC du 29 Septembre 2011en téléchargement ci-dessous). 

Désormais aux termes de l'article 22 de la loi n°71-1130 du 31 Décembre 1971 : 

« Un conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel connaît des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux qui s'y trouvent établis. (...) ». 

L'autorité de poursuite est, elle, exercée par le Bâtonnier de chacun des Barreaux concernés, ainsi que par le Procureur Général de la Cour d'Appel, aux termes de l'article 23 de la Loi de 1971 qui prévoit que : 

« L'instance disciplinaire compétente en application de l'article 22 est saisie par le procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle elle est instituée ou le bâtonnier dont relève l'avocat mis en cause. ». 

La question se pose toutefois dans le cas où à la suite d'une saisine par l'autorité de poursuite, la juridiction de jugement ne rend pas de décision ou reste inerte. 

La réponse se trouve dans l'article 195 du Décret n°91-1197 du 27 Novembre 1991 qui prévoit que : 

« Si dans les huit mois de la saisine de l'instance disciplinaire celle-ci n'a pas statué au fond ou par décision avant dire droit, la demande est réputée rejetée et l'autorité qui a engagé l'action disciplinaire peut saisir la cour d'appel. (...) ». 

En l'occurrence, le Bâtonnier avait saisit le Conseil Régional de Discipline (le 25 Mai 2009), lequel n'avait pas rendu de décision dans le délai de 8 mois (le 25 janvier 2010). 

Le Bâtonnier n'avait pas saisi la Cour d'Appel dans le mois de l'expiration de ce dernier délai de 8 mois, soit dans les 9 mois de la saisine (le 25 Février 2010), mais à la suite d'une décision expresse du Conseil Régional rendue 2 mois plus tard (le 9 Mars 2010) et constatant que n'y avait plus lieu à statuer, le délai de 8 mois étant expiré ... 

Il est vrai que dans cette affaire, le Président du Conseil Régional de Discipline avait fixé la date d'audience pour examiner l'affaire au delà de ce même délai de 8 mois pour statuer ... ! (le 27 Février 2010). 

Difficile dans ces conditions d'envisager de statuer dans le délai de 8 mois ... 

Pour autant, cela ne dispensait par l'autorité de poursuite (en l'occurence le Bâtonnier auteur de la saisine) d'interjeter appel à l'expiration du délai de 8 mois, peu importe que la date d'audience ait été fixée au delà de ce même délai de 8 mois, et peu importe aussi qu'une décision explicite ait été rendue par la suite par le Conseil Régional de Discipline. 

A défaut, et comme n'a pu que le constater la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, l'appel du Bâtonnier contre l'absence de sanction disciplinaire est irrecevable, mais pas celui contre la décision expresse ayant constaté qu'il n'y avait pas lieu à prononcer une sanction, cette dernière décision étant justifiée (Cour d'appel Aix-en-Provence Chambre 1 B 9 Juillet 2010, n° 10/06004, 2010/10). 

A bon droit vient d'en décider la Cour de Cassation, dans un arrêt destiné à la plus large diffusion (Cour de cassation 1er Chambre Civile 20 Octobre 2011, 10-24662, P+B+R+I) en considérant que : 

« Mais attendu qu'en énonçant exactement que lorsque le conseil régional de discipline a laissé passer huit mois depuis sa saisine sans se prononcer, il est censé avoir pris une décision implicite de rejet et qu'il appartient alors à l'autorité qui a engagé l'action disciplinaire de saisir la cour d'appel dans le mois de la décision implicite de rejet, puis en faisant une juste application de ces règles au cas d'espèce, la cour d'appel qui n'a pas déclaré irrecevable l'appel formé dans le délai contre la décision du 6 mars 2010, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ; ». 

La solution ne souffre d'aucune critique, les dispositions de l'article 195 du Décret n°91-1197 du 27 Novembre 1991 étant, à cet égard, parfaitement claires. 

Au demeurant, même dans l'hypothèse où le Conseil Régional de Discipline aurait prononcé une sanction au delà du délai de 8 mois, la Cour d'Appel, ou à défaut la Cour de Cassation, n'auraient pu qu'annuler celle-ci faute pour le Conseil Régional de s'être prononcé dans les délais impartis. 

Un projet de Décret relatif à la discipline des avocats, établi par la Chancellerie, a été longuement débattu au cours de l'année 2011, tant au Conseil National des Barreaux qu'à l'Ordre de Paris. 

Ce projet de Décret est destiné, notamment, à prévoir : 

- le rôle du plaignant dans la procédure disciplinaire, et le fait qu'il puisse être entendu au stade de l'instruction, 

- la possibilité pour les Conseils de Discipline de prononcer un ajournement des sanctions, afin de permettre aux avocats convoqués devant le Conseil de Discipline de régulariser la situation avant une nouvelle convocation, 

- Un allongement des délais d'instruction, actuellement de quatre mois et jugé trop court (mais pas des délais de jugement en cause dans la présente affaire). 

Pour autant, il convient de ne pas perdre de vue que l'existence de délais en la matière est avant tout un règle d'intérêt général édictée, notamment, dans l'intérêt des avocats visés par les procédures disciplinaires, qui sont en droit de voir leur situation jugée dans les meilleurs délai, mais également de la Profession tout entière qui ne saurait se satisfaire d'une « anesthésie» dans le traitement des poursuites disciplinaires. 

Aux juridictions de jugement de s'organiser en conséquence pour rendre leurs décisions dans les délais, et aux autorités de poursuite de faire de même afin de ne pas perdre de vue le délai de 8 mois.