Auteur(s) : Stéphane Bortoluzzi, Dominique Piau, Thierry Wickers
Depuis les précédentes éditions, Henri Ader (1928-2017),
le 2 mars 2017, puis André Damien (1930-2019), le 5 mars
2019, nous ont quittés.
Avec
eux, disparaissent les derniers témoins des évolutions paradoxales de notre
profession pendant plus d’un demi-siècle. Ils doivent nous conduire à garder
foi en l’avenir sans jamais oublier notre passé.
Ils
étaient avocats avant tout. Cette profession dont André Damien disait qu’elle
« est la profession des contradictions, et par là même, elle aboutit à
créer des hommes déchirés entre des choix contradictoires ».
Leur intense activité ordinale, au service de
l’intérêt général, les amena à s’y intéresser avec passion et érudition, et à
en devenir les déontologues attitrés. André Damien, en tira plusieurs
ouvrages de référence tenant à l’histoire et au devenir des avocats, à la
formation des plus jeunes, ou
encore au fonctionnement de nos institutions, et écrivit pendant près de
trente ans, de 1975 à 2003, des
chroniques régulières dans la Gazette du Palais. Henri Ader, moins
présent sur le terrain doctrinal, mis en jambe par un voyage à Moscou que lui
organisa Jacques Vergès lors de leur année de Conférence en 1957,
préféra celui de l’action, au barreau, au Conseil national des barreaux et à
l’Unca.
André
Damien avait pris la suite de Jacques Hamelin (1901-1973), dans la rédaction du
présent ouvrage en 1973,
ouvrage que le bâtonnier Bernard Baudelot avait qualifié d’« Évangile des
avocats », et dont il assurera huit éditions successives de 1973 à 2000,
dont la 5e en 1987 fut couronnée par l’Académie des sciences
morales et politiques du Prix Jean-Baptiste Chevallier, avant de
transmettre le témoin à l’occasion de la 10e édition à Henri
Ader en 2004 qui en assuma la responsabilité jusqu’à la 14e édition
en 2013.
André
Damien, aura été le précurseur de l’unification des règles et usages de la
profession en élaborant une Tradition du barreau français,
résumant l’essentiel de nos principes essentiels et règles déontologiques. Il
s’agissait de permettre à tous les ordres, par une délibération conjointe,
d’adopter un règlement intérieur national. Si cette ambition ne se réalisa pas,
c’est Henri Ader qui, présidant aux destinées de la Commision des règles et
usages du Conseil national des barreaux de 1997 à 2002, portera le Règlement
intérieur harmonisé (RIH), qui s’en inspire largement, sur les fonts
baptismaux. RIH qui deviendra le Règlement intérieur national (RIN) et
obtiendra une portée normative, constituant le socle de la déontologie commune
des avocats.
Moderniste,
André Damien a très tôt déploré que « les structures de la profession
d’avocat [soient] demeurées inadaptées à la réforme des institutions »,
regrettant que le Conseil national des barreaux ne résulte pas de la jonction
du barreau de Paris et de la conférence des bâtonniers, lui qui notait, non sans
malice, que « Le vice des avocats ce n’est ni la légèreté, ni la cupidité,
ni la vanité, c’est la volonté de se diviser à loisir ».
Ardent
défenseur du secret professionnel, André
Damien en déplorait l’affaiblissement en notant que celui-ci, « selon
l’évolution des mentalités, […] est une sorte de curseur sur une réglette
mobile dont la position permet de savoir si une société est plus individualiste
que collectiviste ou le contraire ».
Prospectif, André
Damien constatait qu’« à la différence de ce qui existait de leur temps,
la source est devenue la jurisprudence. Un usage n’a plus de valeur s’il
résulte d’une consultation d’un bâtonnier ou d’un arrêté disciplinaire; il ne
prend son efficacité que si une décision judiciaire lui a conféré force de
loi »,
accompagnant avec son œuvre doctrinale la judiciarisation croissante de la
réglementation professionnelle.
Il avait su, magnifiquement, mettre en exergue la responsabilité collective des avocats dans leur autorégulation, en inscrivant en tête de cet ouvrage cette citation de Georges Bernanos : « Notre Règle n’est pas un refuge. Ce n’est pas la règle qui nous garde, c’est nous qui gardons la règle. ».
Plus
que jamais, dans un contexte où les évolutions par à-coups se poursuivent,
rendant difficile la compréhension des changements réalisés, et l’appréhension
de leur cohérence globale, faute d’une refonte totale des textes, ce sont les
avocats qui gardent la règle.
L’évolution du présent ouvrage, ainsi que sa pérennité
depuis 2000, doivent également beaucoup à Hani Féghali, « l’homme qui murmurait à l’oreille des
auteurs », qui a
décidé de partir à la retraite, en janvier 2022.
Elle prend en compte, notamment, la loi du 20
novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027,
l’ordonnance du 8 février 2023 relative à
l’exercice en société des professions libérales réglementées ainsi que les
décrets d’application de la loi du 22 décembre 2021 pour
la confiance dans l’institution judiciaire, tels que celui du 30 juin 2022 relatif à la
procédure disciplinaire des avocats et celui du 1er décembre 2023 relatif à la
formation professionnelle des avocats, ainsi que des dernières décisions
du Conseil national des barreaux relatives d’une part, aux principes
d’organisation et d’harmonisation des programmes de formation des élèves
avocats et, d’autre part, aux modalités d’application de la formation continue
des avocats.
L’œuvre de codification des règles de déontologie de la
profession s’est également poursuivie par la publication du décret du 30 juin
2023 portant code de déontologie des
avocats, abrogeant le précédent décret du 12 juillet 2005, préparé par le conseil national
des barreaux sans porter atteinte à l’étendue de son pouvoir normatif.
Mais
au-delà des textes propres à la profession d’avocat l’environnement économique,
consumériste et international dans lequel s’insère l’activité de l’avocat n’est
plus confiné à sa stricte réglementation professionnelle, l’avocat se devant
d’appréhender et d’intégrer un cadre normatif qui interagi en permanence avec
les textes propres à sa profession. C’est particulièrement vrai en matière de
rémunération ou de l’exercice de ses différentes missions, pour lesquelles il
ne dispose que rarement d’un quelconque monopole, et qui sont régulièrement
définies ou réglementées par le législateur, tel qu’en tout dernier lieu
s’agissant de la mission d’influence pour le compte d’un Etat étranger.
La
jurisprudence, relativement foisonnante, vient progressivement poser les
principes de coordinations en la matière, tel que s’agissant de l’incidence du
droit de la consommation sur la rémunération de l’avocat, comme elle sera
probablement amenée à clarifier le statut d’un plaignant, aux contours encore
mal définis, comme partie à part entière dans la procédure disciplinaire.
Poursuivant le travail de refonte entamé avec les précédentes, tout en préservant l’esprit voulu par ses fondateurs, la présente édition vise à présenter les règles et principes essentiels de la profession d’avocat, sa déontologie, tant dans leur fondement que dans leur richesse d’application.