27/10/2023

Nul signe distinctif donc point de décoration sur le costume professionnel !

                                                                                     Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus

 
« L’avocat ne porte aucun signe distinctif avec sa robe ».
 
Le texte est clair et insusceptible d’interprétation : il vise TOUT signe distinctif … sans distinction, et donc, naturellement, les décorations.

Certains prétendent que les décorations ne seraient point concernées car le RIN ne serait pas en mesure d’en réglementer le port, lequel relèverait du Code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite.
 
Il n’y a rien de plus faux ! 
 
On notera, non sans ironie, que les thuriféraires du port des décorations après avoir initialement, vainement, prétendu que ledit code leur en imposait le port, se contentent désormais d’affirmer qu’il en protégerait le port. Gageons qu’ils finiront par reconnaitre que ce port des décorations sur un costume professionnel est parfaitement inopportun …
 
En effet, ledit code se contente simplement, par des dispositions de nature règlementaire, de réglementer le port des décorations sans en faire un droit, et encore moins une liberté fondamentale,  et ne fait nullement obstacle à ce que d’autres dispositions, de nature règlementaire, ne viennent l'interdire.
 
Specialia generalibus derogant ...
 
Surtout, la Cour de cassation a reconnu la pleine compétence des règlements intérieurs sur cette question sans qu'il n'y ait lieu de distinguer suivant la nature des signes distinctifs :
 
« 11. L'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 énonce que les avocats sont des auxiliaires de justice, prêtent serment en ces termes : « Je jure comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » et revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession.
 
12. Selon l'article 17, le conseil de l'ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession, sans préjudice des attributions dévolues au Conseil national des barreaux (CNB).
 
13. Selon l'article 21-1, le CNB unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession.
 
14. En l'absence de disposition législative spécifique et à défaut de disposition réglementaire édictée par le CNB, il entre dans les attributions d'un conseil de l'ordre de réglementer le port et l'usage du costume de sa profession.
 
15. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que les modalités du port et de l'usage du costume intéressaient l'exercice de la profession d'avocat et que le conseil de l'ordre avait le pouvoir de modifier son règlement intérieur sur ce point. » (Cour de cassation, Chambre civile 1, 2 mars 2022, n°20-20.185 - v. aussi : D. Piau, « Costume professionnel et principe d’égalité : nulle distinction ne saurait être admise », Gazette du Palais - 12 Avril 2022 - n°12, p. 21).
 
En outre, s’agissant, plus spécifiquement, du port des décorations (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°313.45 et s.), la Cour de cassation n'a jamais validé ce port au regard du principe d'égalité. Elle avait alors considéré que :
 
« (…) le grief tiré d'une rupture d'égalité entre les justiciables n'a pas été invoqué devant la cour d'appel ; que le moyen, irrecevable en sa troisième branche qui est nouvelle et mélangée de fait, n'est pas fondé pour le surplus ; (…) » (Cour de cassation, Chambre civile 1, 24 octobre 2018, 17-26.166).
 
Et, la cour d’appel de Douai a, elle, très clairement validé une l’interdiction de ce même port de décorations en considérant que :
 
« L’article 3 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, s’il précise que les avocats revêtent dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession, ne décrit pas ce costume.
 
Seul l’arrêté des consuls de la République du 2 Nivôse an II en fait une description en précisant que “aux audiences de tous les tribunaux, les gens de loi et les avoués porteront la toge de laine, fermée sur le devant, à manches larges ; toque noire, cravate pareille à celle des juges ; cheveux longs ou ronds”, ce port de cheveux n’étant manifestement plus d’usage.
 
L’article 3 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 sus-visée précise également que les avocats sont des auxiliaires de justice et en assurant la défense des justiciables, ils concourent au service public de la justice.
 
A ce titre, la volonté d’un barreau, représenté par son conseil de l’ordre, de faire obligation à ses membres, lorsqu’ils se présentent devant une juridiction, pour assister ou représenter un justiciable, de revêtir un costume uniforme, concourt à assurer l’égalité des avocats et à travers celle-ci l’égalité des justiciables, qui est un élément constitutif au droit au procès équitable, les dispositions du code de la Légion d’honneur, de la Médaille militaire et de l’ordre national du Mérite, notamment en ses articles R 66, R 69 et R 193 relatifs au port des insignes de ces trois distinctions ne prévoyant d’obligation du port que sur le costume officiel (grande tenue) ou sur l’uniforme militaire (grande tenue), ce que n’est pas la robe noire d’avocat.
 
L’objectif recherché est bien légitime et l’exigence proportionnée, cette interdiction ne valant que lors des missions de représentation ou d’assistance d’un justiciable devant une juridiction, le conseil de l’ordre du barreau de Lille ayant édicté l’interdiction du port de décoration, non point juste après l’énoncé de ce que l’avocat portait la robe professionnelle dans ses activités judiciaires et à l’occasion des manifestations officielles, mais après avoir énoncé la manière dont l’avocat devait s’adresser aux juges. » (Douai 9 juill. 2020, n°19/05808 - v. aussi : D. Piau, « Costume professionnel et principe d’égalité : nulle distinction ne saurait être admise », Gazette du Palais - 12 Avril 2022 - n°12, p. 21).
 
Au demeurant, toute autre interprétation serait de nature à mettre en cause la légalité même des dispositions de l’article 1.3. du RIN en venant créer une discrimination entre les « signes distinctifs » (v. not. en ce sens : S. Hennette-Vauchez, « Liberté religieuse, discrimination et intersectionnalité (à l’envers). A propos du voile de l’avocate », D. 2023. 1183).    
 
Pas plus que l’on n’a jamais vu de militaire en treillis combattre en portant ses décorations, on conçoit mal, à quel titre et de quel droit, les avocats, défenseurs des libertés, monteraient au front dans les salles d’audience avec ces mêmes décorations.