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18/12/2024

Affaire Bismuth : clap de fin (enfin presque)

La lecture de l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire dite Bismuth (Crim. 18 déc. 2024, n°23-83.178, P) est, à elle seule, une vertu pédagogique. L’arrêt est carré et conforme à la jurisprudence.  

Non, ça ne se fait pas d’intervenir auprès d’un magistrat (comme d’un greffier, d’un OPJ, etc…) pour essayer d’influer sur une décision ou d’obtenir des informations privilégiées sur la procédure. Même sans contrepartie, soit-dit en passant.    

Oui, ça se fait d’utiliser une conversation téléphonique entre un avocat et son client lorsque celle-ci est le support même de l’infraction commise. Les principes en la matière ont déjà été posés par la CEDH dans son arrêt du 16 juin 2016 (v. D. Piau, "Ecoutes incidentes, un avocat averti en vaut deux"). 

L’encre a déjà tellement coulé sur le sujet qu’il n’y a plus guère à écrire (v. not. D. Piau, "Le bâtonnier, protecteur et confident nécessaire de ses confrères, là est la victoire, et elle est belle !"). 

On s’amusera à constater le rejet d’un certain nombre de moyens car la défense était parfaitement en mesure de les soulever en temps utile mais ne l’a point fait … on se demandera pourquoi …
 
J’ai très mal vécu dans cette affaire l’instrumentalisation de mon barreau, non pas dans l’intérêt général des avocats, mais dans l’intérêt particulier de la défense d’un ancien président de la République. D’autant plus mal vécu, que je l’ai vécu de l’intérieur.   

La Cour de cassation a ainsi remis les choses d’équerre, et ce dans l’intérêt bien compris de la grande famille judiciaire, dans son ensemble. 

Pour les avocats dans leur pratique quotidienne, il reste un point sur lequel il convient de prendre garde : l’« attendu » 68 de l’arrêt de la Cour de cassation qui considère, s’agissant des arrêts de la chambre de l’instruction, sans se prononcer sur leur régime au regard du secret de l’enquête et de l’instruction, que ceux-ci sont couverts par le secret professionnel de l’avocat.

Pour la Cour de cassation : 

« un arrêt débattu et rendu en chambre du conseil par une chambre de l'instruction dans le cadre d'une procédure d'instruction est notifié à l'avocat d'une partie en application de l'article 217 du code de procédure pénale, il constitue une information à caractère secret dont l'avocat a eu communication en raison de sa profession et dont la révélation est interdite en application de l'article 226-13 du code pénal, la circonstance que ce document soit ou non couvert par le secret de l'instruction étant indifférente. » (Crim. 18 déc. 2024, n°23-83.178, P).

Cette position, et elle seule, apparait très discutable, car la communication d’un tel arrêt à un tiers peut être justifiée par les nécessités de la défense afin d’avoir un avis, notamment, juridique.

Toutefois, la question des nécessités des droits de la défense n’était pas soulevée sur ce point, seule l’absence de protection par le secret l’était. Il est vrai que ça aurait été le diable qui se mord par la queue que de reconnaitre ainsi, implicitement, l’infraction qui était reprochée à titre principal …  

C’était donc juste pour une « activité doctrinale » qu’un « passionné de procédure pénale (…) a indiqué vouloir consulter l'arrêt par curiosité ». 

Et comme chacun sait, la curiosité est un vilain défaut. 

07/12/2024

Détermination du bâtonnier compétent en fixation des honoraires d’une structure d’exercice

Par son arrêt du 28 novembre 2024 (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s'est prononcée, pour la première fois, sur la question de la compétence en matière de fixation des honoraires en cas de structure d'exercice inter barreaux (Sur ces questions, v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 18e éd., 2024, Dalloz Action, n°741.270 et s.).

La question était de savoir quel bâtonnier est compétent pour connaître d’une procédure en fixation des honoraires concernant une structures d’exercice dont les associés appartiennent à plusieurs barreaux (dite structure inter barreaux). 

Dans son arrêt, la Cour de cassation considère que : 

« 7. Les articles 174 et 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat prévoient que la procédure de contestation des honoraires d'avocat est soumise successivement au bâtonnier de l'ordre des avocats auquel appartient l'avocat concerné puis au premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'ordre est établi. Cette procédure spécifique échappe aux dispositions générales du code de procédure civile relatives à la compétence territoriale.

8. Aux termes de l'article 17.3 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, les structures d'exercice inter-barreaux sont inscrites au tableau de l'ordre de leur siège social et à l'annexe au tableau de chacun des barreaux auprès desquels peuvent postuler les avocats de ladite structure.

9. Il résulte des dispositions de l'article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993, alors en vigueur, selon lesquelles chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société, que seule la société est créancière de l'honoraire.

10. Il s'en déduit que le bâtonnier de l'ordre où est inscrit le siège social d'une société inter-barreaux est seul compétent pour connaître des litiges portant sur la fixation des honoraires de cette société. »  (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP).

En premier lieu, la Cour de Cassation réaffirme le caractère spécifique de la procédure de fixation des honoraires qui échappe ainsi, par sa nature, « aux dispositions de l'article 47 du code de procédure civile » (Civ. 1ère, 9 oct. 2001, n°99-11.897, PCiv. 1ère, 14 mai 1991, n°89-15.175, P) ; « aux prévisions de l'article 58 du code de procédure civile » (Civ. 2ème, 24 mai 2018, n°17-18.458, 17-18.504, P - Civ. 2ème 10 oct. 2024, n°23-12.211, P) ou encore, comme au cas d’espèce, « aux dispositions générales du code de procédure civile relatives à la compétence territoriale » (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP).

En second lieu, et par voie de conséquence, dès lors que : « chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société, que seule la société est créancière de l'honoraire »,  elle en déduit fort logiquement que : « le bâtonnier de l'ordre où est inscrit le siège social d'une société inter-barreaux est seul compétent pour connaître des litiges portant sur la fixation des honoraires de cette société » (Civ. 2ème, 28 nov. 2024, n°23-14.282, NP).

C'est donc bien, comme l'avait déjà jugé la cour d'appel de Paris (Paris, pôle 2, ch. 6, 19 oct. 2017, RG n°16/00402), le bâtonnier du barreau d'inscription de la structure d'exercice qui est compétent, et ce : 

- peu importe le barreau d'appartenance des avocats concernés par les honoraires objets de la fixation, qui ont effectivement traité le dossier et émis les factures ;

- peu importe que ce soit le client ou le cabinet d’avocats qui soient à l’initiative de la procédure. 

Cette solution est parfaitement logique, et se doit d’être approuvée. 

En effet, dès lors que l’on est en présence d'une structure d'exercice, dotée de la personnalité morale, c’est cette dernière qui exerce la profession d’avocat, et il convient, à cet égard, de rappeler, comme a déjà pu le juger la Cour de cassation, que : 

- seule la structure d’exercice est recevable à intenter, en la personne de ses représentants légaux, une action en fixation des honoraires (Civ. 2ème, 15 févr. 2007, n°05-11.056, P). C’est en effet la structure d’exercice qui est alors l’avocat du client.

Un associé d’une structure d’exercice, agissant à titre personnel, ne saurait dès lors intenter une telle action en lieu et place de la structure d’exercice à laquelle il appartient, ni user d’une voie de recours à l’encontre d’une décision rendue en matière de fixation des honoraires de la structure d’exercice à laquelle il appartient ;

- seule la structure d’exercice, et non un ou plusieurs de ses associés, peut être condamnée à restituer les honoraires au client, le fait que la structure d’exercice soit en liquidation judiciaire étant sans incidence à cet égard (Civ. 2ème, 23 mai 2019, n°18-16.429, NP).

Considérer l’inverse reviendrait à dénier la nature même de personne morale que constitue la structure d’exercice. 

Il convient d’insister sur le fait que cette même solution n’a pas vocation à s’appliquer aux groupements d’exercice qui ne possèdent pas la personnalité morale, et notamment aux associations ou Aarpi inter barreaux : la procédure en fixation des honoraires, qui doit alors être impérativement dirigée par ou contre l’avocat personne physique, ressortira alors de la compétence bâtonnier du ou des barreau(x) d'appartenance des avocats concernés (voir aussi :  D. Piau, « Des conséquences en cas de litige de l’absence de personnalité morale des associations d’avocats / Aarpi »).

Cette dernière solution n’est d’ailleurs pas sans poser des difficultés lorsque l’on a eu recours à plusieurs avocats de la même association ou Aarpi appartenant à plusieurs barreaux différents, ce qui est loin d’être un cas d’école. 

10/10/2024

RÈGLES DE LA PROFESSION D'AVOCAT 2025/2026

 Auteur(s) : Stéphane Bortoluzzi, Dominique Piau, Thierry Wickers

Edition : Octobre 2024 - 18e édition

Éditeur : Dalloz



Depuis les précédentes éditions, Henri Ader (1928-2017), le 2 mars 2017, puis André Damien (1930-2019), le 5 mars 2019, nous ont quittés.

Avec eux, disparaissent les derniers témoins des évolutions paradoxales de notre profession pendant plus d’un demi-siècle. Ils doivent nous conduire à garder foi en l’avenir sans jamais oublier notre passé.

Ils étaient avocats avant tout. Cette profession dont André Damien disait qu’elle « est la profession des contradictions, et par là même, elle aboutit à créer des hommes déchirés entre des choix contradictoires ».

Leur intense activité ordinale, au service de l’intérêt général, les amena à s’y intéresser avec passion et érudition, et à en devenir les déontologues attitrés. André Damien, en tira plusieurs ouvrages de référence tenant à l’histoire et au devenir des avocats, à la formation des plus jeunes, ou encore au fonctionnement de nos institutions, et écrivit pendant près de trente ans, de 1975 à 2003, des chroniques régulières dans la Gazette du Palais. Henri Ader, moins présent sur le terrain doctrinal, mis en jambe par un voyage à Moscou que lui organisa Jacques Vergès lors de leur année de Conférence en 1957, préféra celui de l’action, au barreau, au Conseil national des barreaux et à l’Unca.

André Damien avait pris la suite de Jacques Hamelin (1901-1973), dans la rédaction du présent ouvrage en 1973, ouvrage que le bâtonnier Bernard Baudelot avait qualifié d’« Évangile des avocats », et dont il assurera huit éditions successives de 1973 à 2000, dont la 5e en 1987 fut couronnée par l’Académie des sciences morales et politiques du Prix Jean-Baptiste Chevallier, avant de transmettre le témoin à l’occasion de la 10e édition à Henri Ader en 2004 qui en assuma la responsabilité jusqu’à la 14e édition en 2013.

André Damien, aura été le précurseur de l’unification des règles et usages de la profession en élaborant une Tradition du barreau français, résumant l’essentiel de nos principes essentiels et règles déontologiques. Il s’agissait de permettre à tous les ordres, par une délibération conjointe, d’adopter un règlement intérieur national. Si cette ambition ne se réalisa pas, c’est Henri Ader qui, présidant aux destinées de la Commision des règles et usages du Conseil national des barreaux de 1997 à 2002, portera le Règlement intérieur harmonisé (RIH), qui s’en inspire largement, sur les fonts baptismaux. RIH qui deviendra le Règlement intérieur national (RIN) et obtiendra une portée normative, constituant le socle de la déontologie commune des avocats.

Moderniste, André Damien a très tôt déploré que « les structures de la profession d’avocat [soient] demeurées inadaptées à la réforme des institutions », regrettant que le Conseil national des barreaux ne résulte pas de la jonction du barreau de Paris et de la conférence des bâtonniers, lui qui notait, non sans malice, que « Le vice des avocats ce n’est ni la légèreté, ni la cupidité, ni la vanité, c’est la volonté de se diviser à loisir ».

Ardent défenseur du secret professionnel, André Damien en déplorait l’affaiblissement en notant que celui-ci, « selon l’évolution des mentalités, […] est une sorte de curseur sur une réglette mobile dont la position permet de savoir si une société est plus individualiste que collectiviste ou le contraire ».

Prospectif, André Damien constatait qu’« à la différence de ce qui existait de leur temps, la source est devenue la jurisprudence. Un usage n’a plus de valeur s’il résulte d’une consultation d’un bâtonnier ou d’un arrêté disciplinaire; il ne prend son efficacité que si une décision judiciaire lui a conféré force de loi », accompagnant avec son œuvre doctrinale la judiciarisation croissante de la réglementation professionnelle.

Il avait su, magnifiquement, mettre en exergue la responsabilité collective des avocats dans leur autorégulation, en inscrivant en tête de cet ouvrage cette citation de Georges Bernanos : « Notre Règle n’est pas un refuge. Ce n’est pas la règle qui nous garde, c’est nous qui gardons la règle. ».

Plus que jamais, dans un contexte où les évolutions par à-coups se poursuivent, rendant difficile la compréhension des changements réalisés, et l’appréhension de leur cohérence globale, faute d’une refonte totale des textes, ce sont les avocats qui gardent la règle.

L’évolution du présent ouvrage, ainsi que sa pérennité depuis 2000, doivent également beaucoup à Hani Féghali, « l’homme qui murmurait à l’oreille des auteurs », qui a décidé de partir à la retraite, en janvier 2022.

Elle prend en compte, notamment, la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées ainsi que les décrets d’application de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, tels que celui du 30 juin 2022 relatif à la procédure disciplinaire des avocats et celui du 1er décembre 2023 relatif à la formation professionnelle des avocats, ainsi que des dernières décisions du Conseil national des barreaux relatives d’une part, aux principes d’organisation et d’harmonisation des programmes de formation des élèves avocats et, d’autre part, aux modalités d’application de la formation continue des avocats.

L’œuvre de codification des règles de déontologie de la profession s’est également poursuivie par la publication du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats, abrogeant le précédent décret du 12 juillet 2005, préparé par le conseil national des barreaux sans porter atteinte à l’étendue de son pouvoir normatif.

Mais au-delà des textes propres à la profession d’avocat l’environnement économique, consumériste et international dans lequel s’insère l’activité de l’avocat n’est plus confiné à sa stricte réglementation professionnelle, l’avocat se devant d’appréhender et d’intégrer un cadre normatif qui interagi en permanence avec les textes propres à sa profession. C’est particulièrement vrai en matière de rémunération ou de l’exercice de ses différentes missions, pour lesquelles il ne dispose que rarement d’un quelconque monopole, et qui sont régulièrement définies ou réglementées par le législateur, tel qu’en tout dernier lieu s’agissant de la mission d’influence pour le compte d’un Etat étranger.

La jurisprudence, relativement foisonnante, vient progressivement poser les principes de coordinations en la matière, tel que s’agissant de l’incidence du droit de la consommation sur la rémunération de l’avocat, comme elle sera probablement amenée à clarifier le statut d’un plaignant, aux contours encore mal définis, comme partie à part entière dans la procédure disciplinaire.

Poursuivant le travail de refonte entamé avec les précédentes, tout en préservant l’esprit voulu par ses fondateurs, la présente édition vise à présenter les règles et principes essentiels de la profession d’avocat, sa déontologie, tant dans leur fondement que dans leur richesse d’application.

27/10/2023

Nul signe distinctif donc point de décoration sur le costume professionnel !

                                                                                     Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus

 
« L’avocat ne porte aucun signe distinctif avec sa robe ».
 
Le texte est clair et insusceptible d’interprétation : il vise TOUT signe distinctif … sans distinction, et donc, naturellement, les décorations.

Certains prétendent que les décorations ne seraient point concernées car le RIN ne serait pas en mesure d’en réglementer le port, lequel relèverait du Code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite.
 
Il n’y a rien de plus faux ! 
 
On notera, non sans ironie, que les thuriféraires du port des décorations après avoir initialement, vainement, prétendu que ledit code leur en imposait le port, se contentent désormais d’affirmer qu’il en protégerait le port. Gageons qu’ils finiront par reconnaitre que ce port des décorations sur un costume professionnel est parfaitement inopportun …
 
En effet, ledit code se contente simplement, par des dispositions de nature règlementaire, de réglementer le port des décorations sans en faire un droit, et encore moins une liberté fondamentale,  et ne fait nullement obstacle à ce que d’autres dispositions, de nature règlementaire, ne viennent l'interdire.
 
Specialia generalibus derogant ...
 
Surtout, la Cour de cassation a reconnu la pleine compétence des règlements intérieurs sur cette question sans qu'il n'y ait lieu de distinguer suivant la nature des signes distinctifs :
 
« 11. L'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 énonce que les avocats sont des auxiliaires de justice, prêtent serment en ces termes : « Je jure comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » et revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession.
 
12. Selon l'article 17, le conseil de l'ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession, sans préjudice des attributions dévolues au Conseil national des barreaux (CNB).
 
13. Selon l'article 21-1, le CNB unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession.
 
14. En l'absence de disposition législative spécifique et à défaut de disposition réglementaire édictée par le CNB, il entre dans les attributions d'un conseil de l'ordre de réglementer le port et l'usage du costume de sa profession.
 
15. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que les modalités du port et de l'usage du costume intéressaient l'exercice de la profession d'avocat et que le conseil de l'ordre avait le pouvoir de modifier son règlement intérieur sur ce point. » (Cour de cassation, Chambre civile 1, 2 mars 2022, n°20-20.185 - v. aussi : D. Piau, « Costume professionnel et principe d’égalité : nulle distinction ne saurait être admise », Gazette du Palais - 12 Avril 2022 - n°12, p. 21).
 
En outre, s’agissant, plus spécifiquement, du port des décorations (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°313.45 et s.), la Cour de cassation n'a jamais validé ce port au regard du principe d'égalité. Elle avait alors considéré que :
 
« (…) le grief tiré d'une rupture d'égalité entre les justiciables n'a pas été invoqué devant la cour d'appel ; que le moyen, irrecevable en sa troisième branche qui est nouvelle et mélangée de fait, n'est pas fondé pour le surplus ; (…) » (Cour de cassation, Chambre civile 1, 24 octobre 2018, 17-26.166).
 
Et, la cour d’appel de Douai a, elle, très clairement validé une l’interdiction de ce même port de décorations en considérant que :
 
« L’article 3 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, s’il précise que les avocats revêtent dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession, ne décrit pas ce costume.
 
Seul l’arrêté des consuls de la République du 2 Nivôse an II en fait une description en précisant que “aux audiences de tous les tribunaux, les gens de loi et les avoués porteront la toge de laine, fermée sur le devant, à manches larges ; toque noire, cravate pareille à celle des juges ; cheveux longs ou ronds”, ce port de cheveux n’étant manifestement plus d’usage.
 
L’article 3 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 sus-visée précise également que les avocats sont des auxiliaires de justice et en assurant la défense des justiciables, ils concourent au service public de la justice.
 
A ce titre, la volonté d’un barreau, représenté par son conseil de l’ordre, de faire obligation à ses membres, lorsqu’ils se présentent devant une juridiction, pour assister ou représenter un justiciable, de revêtir un costume uniforme, concourt à assurer l’égalité des avocats et à travers celle-ci l’égalité des justiciables, qui est un élément constitutif au droit au procès équitable, les dispositions du code de la Légion d’honneur, de la Médaille militaire et de l’ordre national du Mérite, notamment en ses articles R 66, R 69 et R 193 relatifs au port des insignes de ces trois distinctions ne prévoyant d’obligation du port que sur le costume officiel (grande tenue) ou sur l’uniforme militaire (grande tenue), ce que n’est pas la robe noire d’avocat.
 
L’objectif recherché est bien légitime et l’exigence proportionnée, cette interdiction ne valant que lors des missions de représentation ou d’assistance d’un justiciable devant une juridiction, le conseil de l’ordre du barreau de Lille ayant édicté l’interdiction du port de décoration, non point juste après l’énoncé de ce que l’avocat portait la robe professionnelle dans ses activités judiciaires et à l’occasion des manifestations officielles, mais après avoir énoncé la manière dont l’avocat devait s’adresser aux juges. » (Douai 9 juill. 2020, n°19/05808 - v. aussi : D. Piau, « Costume professionnel et principe d’égalité : nulle distinction ne saurait être admise », Gazette du Palais - 12 Avril 2022 - n°12, p. 21).
 
Au demeurant, toute autre interprétation serait de nature à mettre en cause la légalité même des dispositions de l’article 1.3. du RIN en venant créer une discrimination entre les « signes distinctifs » (v. not. en ce sens : S. Hennette-Vauchez, « Liberté religieuse, discrimination et intersectionnalité (à l’envers). A propos du voile de l’avocate », D. 2023. 1183).    
 
Pas plus que l’on n’a jamais vu de militaire en treillis combattre en portant ses décorations, on conçoit mal, à quel titre et de quel droit, les avocats, défenseurs des libertés, monteraient au front dans les salles d’audience avec ces mêmes décorations.

11/03/2023

Prohibition du recours aux "taux horaires de références" pour valoriser les diligences en matière d’honoraires

Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 9 mars 2023 (Civ. 2ème, 9 mars 2023, n°21-15.821, P), destiné à être publié au bulletin, est venu poser le principe de la prohibition du recours aux "taux horaires de références" pour valoriser les diligences en matière d’honoraires.
 
Dans cette affaire, un avocat était intervenu, à la suite d’un autre avocat, en 2012, dans des dossiers relatifs à l’annulations de procès-verbaux d’assemblées générales de copropriété de 2007 et 2009.
 
Aucune convention d’honoraires écrite n’avait été conclue entre l’avocat et le client.
 
Le client, de toutes évidences, insatisfait, avait sollicité, en 2017, la restitution de ses honoraires.
 
 
* Une première ordonnance du premier président, rendue en 2018, avait été cassée sur la question de la prescription, en l’occurrence de cinq ans, faute pour le premier président, d’avoir précisé : « la date de la fin du mandat de l'avocat, qui constituait le point de départ de la prescription quinquennale de l'action en restitution d'honoraires » ce qui n’avait pas mis : « la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle » (Civ. 2ème 12 déc. 2019, n°18-24.258, NP).
 
Cette question de la prescription était de retour devant la Cour de cassation car l’ordonnance du premier président avait indiqué que l’avocat aurait renoncé oralement à invoquer la prescription de la demande de son ancien client.
 
L’avocat contestait cette mention dans le cadre de son pourvoi.
 
Sur ce point, la Cour de cassation rejette le pourvoi dès lors que :  
 
« 6. Selon l'article 457 du code de procédure civile, le jugement a la force probante d'un acte authentique. Il en résulte que les mentions correspondant à des faits que le juge énonce comme ayant eu lieu en sa présence font foi jusqu'à inscription de faux.
 
7. En conséquence, les mentions de l'ordonnance, selon lesquelles l'avocat a oralement précisé qu'il renonçait à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en remboursement de Mme [Z], ne peuvent être critiquées que par la voie d'une inscription de faux. » (Civ. 2ème, 9 mars 2023, n°21-15.821, P).
 
En l’occurrence, l’on rappellera que l’inscription de faux à titre incident ne peut être formée que devant le tribunal judiciaire ou la cour d’appel, pas devant la Cour de cassation (art. 286 du code de procédure civile).
 
Dans un tel cas, il convient de saisir le tribunal judiciaire d’une inscription de faux à titre principal à l’encontre de l’ordonnance du premier président (articles 314 et s. du code de procédure civile), et il appartient à la Cour de cassation de … surseoir à statuer dans l’attente jugement sur le faux (art. 313 code de procédure civile).
 
On ne peut pas dire que la célérité soit le principe directeur en la matière …
 
 
* Mais c’est surtout sur le fond que la solution de l’arrêt commenté devient intéressante.
 
En l’occurrence, le premier président avait cru pouvoir évaluer les honoraires de l’avocat en appliquant aux diligences effectuées : « le taux horaire moyen de 200 euros pratiqué dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ».
 
C’est la pratique même des "taux horaires de références" par certains premiers présidents dans le cadre de la fixation des honoraires, qui était ainsi en cause.
 
La Cour de cassation avait déjà failli se prononcer sur cette question, dans le cadre d’un pourvoi à l’encontre, déjà, d’une ordonnance du premier président d’Aix-en-Provence, mais elle avait alors cassé l’ordonnance sur le terrain de l’absence de débat contradictoire dès lors que le premier président avait utilisé cette méthode sans que les parties n’en aient débattu, le cas échéant à son initiative, à l’audience, en considérant que :
 
« Vu l'article 7 du code de procédure civile :
 
5. Selon ce texte, le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat.
 
6. Pour fixer les honoraires dûs à M. [H], l'ordonnance retient qu'à défaut pour ce dernier d'avoir notifié un taux de rémunération horaire à son client, il sera fait application du taux horaire moyen de 200 euros HT pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, l'affaire confiée par M. [G] ne présentant aucune difficulté particulière.
 
7. En statuant ainsi, alors qu'il énonçait que les parties avaient repris oralement à l'audience les termes de leurs écritures et qu'il ne résultait ni de ces écritures ni des pièces de la procédure que le taux horaire moyen pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence est de 200 euros HT, le premier président, qui a fondé sa décision sur un fait qui n'était pas dans le débat, a violé le texte susvisé. » (Civ. 2ème 7 oct. 2022, n°20-19.723, P).
 
Cette fois-ci, aucune question procédurale n’était soumise à la sagacité de la Cour, et c’est donc sur le fond que la Cour de cassation casse (pour la deuxième fois …) une ordonnance du premier président d’Aix-en-Provence dans cette affaire, en considérant que :
 
« Vu l'article 10, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-690 du 6 août 2015 :
 
10. Aux termes de ce texte, à défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.
 
11. Pour fixer les honoraires dus à l'avocat à une certaine somme, l'ordonnance retient qu'il résulte de la procédure qu'il a effectué des diligences pouvant être évaluées à trois heures de travail et qu'à défaut pour l'avocat d'avoir fait connaître son taux horaire, il y a lieu d'appliquer le taux horaire moyen de 200 euros pratiqué dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
 
12. En statuant ainsi, le premier président, qui s'est référé à un critère pris du taux de rémunération moyen qui serait pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel, étranger à ceux énumérés à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, a violé ce texte. » (Civ. 2ème, 9 mars 2023, n°21-15.821, P).

Pour la Cour de cassation, le « critère pris du taux de rémunération moyen qui serait pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel », est « étranger à ceux énumérés à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 » ... (L. n°71-1130, 31 déc. 1971, art.10). Etranger, en ce sens qu’il ne permet pas de déterminer précisément la valorisation des diligences de l’avocat, objet du litige.

En clair : il faut valoriser les diligences de l'avocat (critère des diligences), mais en appliquant, le cas échéant, le taux horaire de ... l'avocat concerné, pas la moyenne de ceux du ressort de la cour.
 

* Le sens de la solution est on ne plus logique, et frappé du coin du bon sens, ne peut qu’être pleinement approuvé.
 
En effet, en l’absence de convention d’honoraires, il appartient au juge fixateur d’évaluer le montant des honoraires en application des critères légaux admis aux fins de détermination du montant des honoraires, à savoir : la situation de fortune du client, la difficulté de l’affaire, les frais généraux exposés, la notoriété de l’avocat et les diligences (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°721.20 et s.).
 
Les diligences sont les critères le plus important, et déterminant, en la matière. Et dès lors qu’il constate l’existence de diligences effectuées par l’avocat pour le compte de son client, le juge de l’honoraire se doit de procéder à une évaluation de celles-ci afin d’en fixer le montant (Civ. 2ème, 13 déc. 2018, n°17-27.973, NP).
 
La Cour de cassation a néanmoins admis que le juge de l’honoraire pouvait refuser de prendre en compte les diligences « manifestement » inutiles de l’avocat (Civ. 2ème, 14 janv. 2016, n°14-10.787, P - Civ. 2ème, 8 oct. 2020, n°19-21.705, NP).
 
Et si, comme en l’occurrence, l’avocat ne fait connaître son taux horaire, il appartient alors au juge de l’honoraire d’en évaluer le montant, le cas échant, eu égard aux autres critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (L. n°71-1130, 31 déc. 1971, art. 10) … d’autant qu’il convient de rappeler que la méthode du « taux horaire » n’est pas la plus pertinente qui soit (cf. « Honoraires de l’avocat : du défaut de transparence de la clause de taux horaire aux conséquences d’une clause abusive portant sur la rémunération »).

Du caractère facultatif de la conciliation préalable au règlement des litiges entre avocats

Deux arrêts rendus par la première chambre civile le 8 mars 2023 (Civ. 1ère, 8 mars 2023, n° 21-19.620, P) et (Civ. 1ère 8 mars 2023, n°22-10.679, P), destinés à être publiés au bulletin, sont venus poser le principe du caractère facultatif de la conciliation préalable devant le bâtonnier dans le cadre des procédures de règlement des litiges entre avocats.
 
 
1/ Dans la première affaire, un litige était né entre plusieurs associés à la suite de la dissolution d’une SCP relativement à la régularisation des comptes et la prise en charge de certains frais de la SCP.
 
Le 30 décembre 2019, l’un des associés saisissait le bâtonnier d’une demande d’arbitrage (sic).
 
Le 23 juillet 2020, le bâtonnier n’ayant pas rendu de décision dans les quatre mois de sa saisine, et l’associé demandeur avait alors ainsi directement la cour d’appel de ses demandes.
 
Le 4 octobre 2020, le bâtonnier rendait une décision, hors délai, écartant la fin de non-recevoir tirée de l'absence de tentative de conciliation préalable, et statuant au fond.  L’associé demandeur, débouté, avait également saisi la cour d’appel de cette décision.
 
Tirant argument de l’absence de saisine préalable aux fins de conciliation, la cour d’appel avait déclaré irrecevable la requête initiale aux fins d'arbitrage, en date du 30 décembre 2019.
 
Sur pourvoi de l’avocat, la Cour de cassation, casse l’arrêt de la cour d’appel.
 
Pour la Cour de cassation :
 
« Vu l'article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et les articles 142, 179-1 et 179-4 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié :
 
6. Selon le premier de ces textes, le bâtonnier prévient ou concilie les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau ; tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats intéressés sont inscrits.
 
7. Selon le troisième, en cas de différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel et à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats intéressés sont inscrits est saisi par l'une ou l'autre des parties.
 
8. Selon le deuxième, rendu applicable par le quatrième, l'acte de saisine précise, à peine d'irrecevabilité, l'objet du litige, l'identité des parties et les prétentions du saisissant.
 
9. Si ces dispositions prévoient une conciliation préalable à l'arbitrage du bâtonnier, elles n'instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir.
 
10. Pour déclarer irrecevable la requête aux fins d'arbitrage formée le 30 décembre 2019 par Mme [D] et annuler la décision du bâtonnier, l'arrêt retient que la conciliation s'est inscrite dans le cours de la procédure d'arbitrage, que la procédure de conciliation est un nécessaire préalable à l'engagement de l'action aux fins d'arbitrage auprès du bâtonnier et que la tentative de conciliation, mise en place par le bâtonnier postérieurement à sa saisine, ne saurait ni constituer la tentative de conciliation préalable exigée par les textes, ni pallier l'irrégularité qu'elle engendre, de sorte qu'est fondée la fin de non-recevoir soulevée par Mme [E].
 
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés » (Civ. 1ère, 8 mars 2023, n° 21-19.620, P).
 
 
2/ Dans la seconde affaire, un litige était né à la suite de la rupture d’un contrat de collaboration libérale.
 
Dans le cadre de cette rupture, une transaction avait été conclue entre le cabinet d’avocats et le collaborateur libéral, semble-t-il en dehors de toute conciliation devant le bâtonnier.
 
S’estimant lésé par cette transaction le collaborateur libéral avait saisi le bâtonnier en nullité de la transaction et en paiement d'une indemnité de préavis et d'une indemnité au titre d'un préjudice moral.
 
Dans sa décision, le bâtonnier avait rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'absence de conciliation préalable, prononcé la nullité de la transaction, et condamné le cabinet d’avocats à payer certains sommes au collaborateur libéral
 
Sur appel du cabinet d’avocats, tirant argument de l’absence de saisine préalable aux fins de conciliation, la cour d’appel avait déclaré irrecevable la requête initiale aux fins d'arbitrage.
 
Sur pourvoi du collaborateur libéral, la Cour de cassation, casse l’arrêt de la cour d’appel.
 
Pour la Cour de cassation :
 
« Mais sur le moyen relevé d'office
 
5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
 
Vu les articles 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et 142 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié :
 
6. Selon le premier de ces textes, les litiges nés d'un contrat de travail ou d'un contrat de collaboration libérale sont, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier.
 
7. Selon le second, à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel l'avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l'une ou l'autre des parties et l'acte de saisine précise, à peine d'irrecevabilité, l'objet du litige, l'identité des parties et les prétentions du saisissant.
 
8. Si ces dispositions prévoient une conciliation préalable à l'arbitrage du bâtonnier, elles n'instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir.
 
9. Pour déclarer irrecevable la requête aux fins d'arbitrage formée le 1er décembre 2020 par Mme [Y], l'arrêt retient que la procédure de conciliation pour les litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration entre avocats est un préalable obligatoire à l'engagement de toute action contentieuse auprès du bâtonnier et relève que Mme [Y], s'étant bornée à adresser, le 6 novembre 2020, à la société PVB avocats une mise en demeure d'avoir à lui régler les sommes dues au titre de son préavis, n'a présenté aucune demande de conciliation.
 
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés. » (Civ. 1ère 8 mars 2023, n°22-10.679, P).
 

* Par ces deux arrêts, la Cour de cassation affirme clairement le caractère purement facultatif de la conciliation préalable devant le bâtonnier tant s’agissant du règlement des litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail (Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 142 et s.) (Civ. 1ère 8 mars 2023, n°22-10.679, P), que s’agissant du règlement des différends entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel (Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 179-1 et s.) (Civ. 1ère, 8 mars 2023, n° 21-19.620, P).
 
L’on pourra longuement épiloguer sur la pertinence de la solution, force est de constater que l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 ne prévoit nullement que cette conciliation soit obligatoire (L. n°71-1130, 31 déc. 1971, art. 7).
 
En outre, si elle peut paraitre regrettable, en ce sens que la conciliation préalable est de nature à résoudre un grand nombre de difficultés et à permettre d’éviter de long et inutiles contentieux, il n’en demeure pas moins que la pratique actuelle qui se fondait sur un caractère prétendument obligatoire de cette même conciliation, avait également au moins deux inconvénients majeurs non réglés par les textes :
 
- elle ne prévoyait aucune issue lorsque le bâtonnier refusait d’organiser la conciliation ou faisait durer celle-ci au-delà du raisonnable ;
 
- elle conduisait, dans certains barreaux et non des moindres, à considérer qu’il n’était pas possible de former des demandes nouvelles ou reconventionnelles devant le bâtonnier sans les avoir soumises préalablement à la conciliation.
 
Dans un tel contexte, l’on ne peut qu’approuver pleinement la solution délivrée par la Cour de cassation.
 
L’on pourrait admettre que le législateur vienne prévoir un caractère obligatoire à la conciliation devant le bâtonnier, mais à condition de l’enfermer dans un délai strict, d’une part, et d’en exclure les demandes nouvelles, incidentes ou reconventionnelles, qui peuvent apparaitre en cours de litige ou au moment même de la conciliation, d’autre part.
 
 
* Dans l’immédiat, ces arrêts entrainent quelques conséquences qu’il convient d’avoir à l’esprit :
 
- en premier lieu, il convient de bien faire attention à l’objet des saisines adressées au bâtonnier : soit il s’agît d’une saisine aux fins de conciliation et le bâtonnier pourra mettre en œuvre une conciliation préalable, soit il s’agît d’une saisine aux fins de règlement du litige, improprement dit « d’arbitrage », et elle fera courir le délai, de quatre mois, imparti au bâtonnier pour statuer.
 
En l’absence d’indication expresse de l’objet de la saisine, il apparait prudent que le bâtonnier sollicite des précisions à cet égard.
 
A défaut, et compte tenu du fait que des demandes sont, généralement, formulées il y aura lieu, en principe, de considérer qu’il s’agit d’une saisine aux fins de règlement du litige.
 
- en second lieu, dès lors qu’une saisine du bâtonnier aux fins de règlement du litige a été effectuée, même dans l’hypothèse où celui-ci viendrait à organiser une conciliation, il doit statuer dans les quatre mois de sa saisine initiale, à peine de dessaisissement au profit de la cour d'appel (Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 149 et 179-5).
 
A l’expiration de ce délai de quatre mois, ou de huit mois si une prorogation à été régulièrement ordonnée, l’avocat peut saisir directement la cour d’appel dans le mois qui suit cette expiration.
 
Toute décision du bâtonnier rendue au-delà du délai de quatre mois est nulle et non avenue.
 
Il convient donc d’être extrêmement vigilant dans le cadre de la rédaction comme de l’analyse des saisines du bâtonnier en matière, et de bien surveiller l’écoulement du délai imparti au bâtonnier pour statuer.
 
- en troisième lieu, dès lors que le bâtonnier est saisi aux fins de règlement du litige, il lui appartient de statuer, sur l’ensemble du litige qui lui est soumis, sans considération de la question de savoir si les éventuelles demandes incidentes, reconventionnelles ou nouvelles auraient ou non été soumises préalablement à la conciliation.
 
 
* Enfin, la question de la portée de la solution de la première chambre civile dans le cadre de la procédure disciplinaire se trouve également posée.
 
En effet, l’on sait que désormais en la matière le plaignant, auteur de la réclamation, (cf. "Discipline des avocats : ni plaignant, ni victime, « L’auteur de la réclamation », cet OVNI juridique …"), dispose de la faculté de saisir directement le conseil de discipline de poursuites disciplinaires à l’encontre d’un avocat.
 
Si une réclamation préalable doit être adressée au bâtonnier, ici encore la loi n’a pas prévu de caractère obligatoire de la conciliation préalable, elle a même prévu, expressément, son caractère purement facultatif (L.n°71-1130, 31 déc. 1971, art. 21 ; Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 186-3).
 
Et lorsque le plaignant, auteur de la réclamation, saisi par voie de requête le conseil de discipline, le décret précise simplement que la requête doit, notamment, contenir à peine de nullité : « la réclamation préalable adressée au bâtonnier » (Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 188).
 
Et si la circulaire d’application est venue prévoir, de manière curieuse …, que la requête aux fins de saisine du conseil de discipline ne pouvait pas intervenir avant l’expiration du délai de trois mois dont le bâtonnier dispose pour organiser, s’il le souhaite …, une conciliation, rien dans les textes n’impose un tel délai de latence.
 
Les arrêts commentés nous conduisent même à penser qu’une requête aux fins de saisine du conseil de discipline peut parfaitement être délivrée par le plaignant, auteur de la réclamation, concomitamment à une saisine du bâtonnier.
 
A suivre …