Deux arrêts rendus par la première chambre civile le 8 mars 2023 (Civ. 1ère,
8 mars 2023, n° 21-19.620, P) et (Civ. 1ère 8 mars 2023, n°22-10.679,
P), destinés à être publiés au bulletin, sont venus poser le principe du caractère
facultatif de la conciliation préalable devant le bâtonnier dans le cadre des procédures
de règlement des litiges entre avocats.
1/ Dans la première affaire, un litige était né entre plusieurs associés
à la suite de la dissolution d’une SCP relativement à la régularisation des
comptes et la prise en charge de certains frais de la SCP.
Le 30 décembre 2019, l’un des associés saisissait le bâtonnier d’une
demande d’arbitrage (sic).
Le 23 juillet 2020, le bâtonnier n’ayant pas rendu de décision dans les
quatre mois de sa saisine, et l’associé demandeur avait alors ainsi directement
la cour d’appel de ses demandes.
Le 4 octobre 2020, le bâtonnier rendait une décision, hors délai, écartant
la fin de non-recevoir tirée de l'absence de tentative de conciliation
préalable, et statuant au fond. L’associé
demandeur, débouté, avait également saisi la cour d’appel de cette décision.
Tirant argument de l’absence de saisine préalable aux fins de conciliation,
la cour d’appel avait déclaré irrecevable la requête initiale aux fins
d'arbitrage, en date du 30 décembre 2019.
Sur pourvoi de l’avocat, la Cour de cassation, casse l’arrêt de la cour
d’appel.
Pour la Cour de cassation :
« Vu
l'article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et les articles
142, 179-1 et 179-4 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié :
6. Selon le
premier de ces textes, le bâtonnier prévient ou concilie les différends d'ordre
professionnel entre les membres du barreau ; tout différend entre avocats à
l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation,
soumis à l'arbitrage du bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats
intéressés sont inscrits.
7. Selon le troisième,
en cas de différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel
et à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats
intéressés sont inscrits est saisi par l'une ou l'autre des parties.
8. Selon le
deuxième, rendu applicable par le quatrième, l'acte de saisine précise, à peine
d'irrecevabilité, l'objet du litige, l'identité des parties et les prétentions
du saisissant.
9. Si ces
dispositions prévoient une conciliation préalable à l'arbitrage du bâtonnier,
elles n'instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont
le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir.
10. Pour déclarer
irrecevable la requête aux fins d'arbitrage formée le 30 décembre 2019 par Mme
[D] et annuler la décision du bâtonnier, l'arrêt retient que la conciliation
s'est inscrite dans le cours de la procédure d'arbitrage, que la procédure de
conciliation est un nécessaire préalable à l'engagement de l'action aux fins
d'arbitrage auprès du bâtonnier et que la tentative de conciliation, mise en
place par le bâtonnier postérieurement à sa saisine, ne saurait ni constituer
la tentative de conciliation préalable exigée par les textes, ni pallier
l'irrégularité qu'elle engendre, de sorte qu'est fondée la fin de non-recevoir
soulevée par Mme [E].
2/ Dans la seconde affaire, un litige était né à la suite de la rupture
d’un contrat de collaboration libérale.
Dans le cadre de cette rupture, une transaction avait été conclue entre
le cabinet d’avocats et le collaborateur libéral, semble-t-il en dehors de toute
conciliation devant le bâtonnier.
S’estimant lésé par cette transaction le collaborateur libéral avait saisi
le bâtonnier en nullité de la transaction et en paiement d'une indemnité de
préavis et d'une indemnité au titre d'un préjudice moral.
Dans sa décision, le bâtonnier avait rejeté la fin de non-recevoir tirée
de l'absence de conciliation préalable, prononcé la nullité de la transaction, et
condamné le cabinet d’avocats à payer certains sommes au collaborateur libéral
Sur appel du cabinet d’avocats, tirant argument de l’absence de saisine
préalable aux fins de conciliation, la cour d’appel avait déclaré irrecevable
la requête initiale aux fins d'arbitrage.
Sur pourvoi du collaborateur libéral, la Cour de cassation, casse l’arrêt
de la cour d’appel.
Pour la Cour de cassation :
« Mais
sur le moyen relevé d'office
5. Après avis
donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il
est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 7
de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et 142 du décret n° 91-1197
du 27 novembre 1991 modifié :
6. Selon le
premier de ces textes, les litiges nés d'un contrat de travail ou d'un contrat
de collaboration libérale sont, en l'absence de conciliation, soumis à
l'arbitrage du bâtonnier.
7. Selon le
second, à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel
l'avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l'une ou l'autre des
parties et l'acte de saisine précise, à peine d'irrecevabilité, l'objet du
litige, l'identité des parties et les prétentions du saisissant.
8. Si ces
dispositions prévoient une conciliation préalable à l'arbitrage du bâtonnier,
elles n'instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont
le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir.
9. Pour déclarer
irrecevable la requête aux fins d'arbitrage formée le 1er décembre 2020 par Mme
[Y], l'arrêt retient que la procédure de conciliation pour les litiges nés à
l'occasion d'un contrat de collaboration entre avocats est un préalable
obligatoire à l'engagement de toute action contentieuse auprès du bâtonnier et
relève que Mme [Y], s'étant bornée à adresser, le 6 novembre 2020, à la société
PVB avocats une mise en demeure d'avoir à lui régler les sommes dues au titre
de son préavis, n'a présenté aucune demande de conciliation.
* Par ces deux arrêts, la Cour de cassation affirme clairement le
caractère purement facultatif de la conciliation préalable devant le bâtonnier tant
s’agissant du règlement des litiges nés à l'occasion d'un contrat de
collaboration ou d'un contrat de travail (Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 142 et s.) (Civ. 1ère 8 mars 2023, n°22-10.679, P), que s’agissant
du règlement des différends entre avocats à l'occasion de leur exercice
professionnel (Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 179-1 et s.) (Civ. 1ère,
8 mars 2023, n° 21-19.620, P).
L’on pourra longuement épiloguer sur la pertinence de la solution, force
est de constater que l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 ne prévoit nullement
que cette conciliation soit obligatoire (L. n°71-1130, 31 déc. 1971, art. 7).
En outre, si elle peut paraitre regrettable, en ce sens que la conciliation
préalable est de nature à résoudre un grand nombre de difficultés et à permettre
d’éviter de long et inutiles contentieux, il n’en demeure pas moins que la pratique
actuelle qui se fondait sur un caractère prétendument obligatoire de cette même
conciliation, avait également au moins deux inconvénients majeurs non réglés par
les textes :
- elle ne prévoyait aucune issue lorsque le bâtonnier refusait d’organiser
la conciliation ou faisait durer celle-ci au-delà du raisonnable ;
- elle conduisait, dans certains barreaux et non des moindres, à
considérer qu’il n’était pas possible de former des demandes nouvelles ou reconventionnelles
devant le bâtonnier sans les avoir soumises préalablement à la conciliation.
Dans un tel contexte, l’on ne peut qu’approuver pleinement la solution
délivrée par la Cour de cassation.
L’on pourrait admettre que le législateur vienne prévoir un caractère obligatoire
à la conciliation devant le bâtonnier, mais à condition de l’enfermer dans
un délai strict, d’une part, et d’en exclure les demandes nouvelles, incidentes
ou reconventionnelles, qui peuvent apparaitre en cours de litige ou au moment même
de la conciliation, d’autre part.
* Dans l’immédiat, ces arrêts entrainent quelques conséquences qu’il
convient d’avoir à l’esprit :
- en premier lieu, il convient de bien faire attention à l’objet
des saisines adressées au bâtonnier : soit il s’agît d’une saisine
aux fins de conciliation et le bâtonnier pourra mettre en œuvre une conciliation
préalable, soit il s’agît d’une saisine aux fins de règlement du litige, improprement
dit « d’arbitrage », et elle fera courir le délai, de quatre mois,
imparti au bâtonnier pour statuer.
En l’absence d’indication expresse de l’objet de la saisine, il apparait
prudent que le bâtonnier sollicite des précisions à cet égard.
A défaut, et compte tenu du fait que des demandes sont, généralement,
formulées il y aura lieu, en principe, de considérer qu’il s’agit d’une saisine
aux fins de règlement du litige.
- en second lieu, dès lors qu’une saisine du bâtonnier aux fins
de règlement du litige a été effectuée, même dans l’hypothèse où celui-ci viendrait
à organiser une conciliation, il doit statuer dans les quatre mois de sa
saisine initiale, à peine de dessaisissement au profit de la cour d'appel (Décr.
n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 149 et 179-5).
A l’expiration de ce délai de quatre mois, ou de huit mois si une prorogation
à été régulièrement ordonnée, l’avocat peut saisir directement la cour d’appel
dans le mois qui suit cette expiration.
Toute décision du bâtonnier rendue au-delà du délai de quatre mois est
nulle et non avenue.
Il convient donc d’être extrêmement vigilant dans le cadre de la rédaction
comme de l’analyse des saisines du bâtonnier en matière, et de bien surveiller
l’écoulement du délai imparti au bâtonnier pour statuer.
- en troisième lieu, dès lors que le bâtonnier est saisi aux fins
de règlement du litige, il lui appartient de statuer, sur l’ensemble du litige
qui lui est soumis, sans considération de la question de savoir si les
éventuelles demandes incidentes, reconventionnelles ou nouvelles auraient ou
non été soumises préalablement à la conciliation.
Si une réclamation préalable doit être adressée au bâtonnier, ici
encore la loi n’a pas prévu de caractère obligatoire de la conciliation préalable,
elle a même prévu, expressément, son caractère purement facultatif (L.n°71-1130, 31 déc. 1971, art. 21 ; Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 186-3).
Et lorsque le plaignant, auteur de la réclamation, saisi par voie de
requête le conseil de discipline, le décret précise simplement que la requête
doit, notamment, contenir à peine de nullité : « la réclamation
préalable adressée au bâtonnier » (Décr. n°91-1197, 27 nov. 1991, art. 188).
Et si la circulaire d’application est venue prévoir, de manière
curieuse …, que la requête aux fins de saisine du conseil de discipline ne
pouvait pas intervenir avant l’expiration du délai de trois mois dont le
bâtonnier dispose pour organiser, s’il le souhaite …, une conciliation, rien
dans les textes n’impose un tel délai de latence.
Les arrêts commentés nous conduisent même à penser qu’une requête
aux fins de saisine du conseil de discipline peut parfaitement être délivrée par
le plaignant, auteur de la réclamation, concomitamment à une saisine du bâtonnier.
A suivre …