18/12/2022

Domicile professionnel de l’avocat, ou le modernisme affiché de la Cour de cassation


L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 1ère 14 déc. 2022, n° 21-17.141, P) et destiné aux honneurs du bulletin vient éclairer la question de la définition du domicile professionnel (v. S. Bortoluzzi, D. Piau et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°222.11 et s.), dans un domaine où les arrêts de la Cour sont assez rare, et ce, ce qui est remarquable, sous un angle moderniste.
 
C’est l’article 15.1 du Règlement intérieur national qui définit le domicile professionnel en indiquant que :

« L’avocat doit exercer son activité professionnelle dans des conditions matérielles conformes aux usages et dans le respect des principes essentiels de la profession. Il doit aussi veiller au strict respect du secret professionnel et justifier d’une adresse électronique. »

Le Conseil d’Etat avait eu l’occasion, saisit d’un recours relatif à une modification de ce même article 15 en tant qu’il était venu autoriser les domiciliations temporaires, de définir le domicile professionnel de l’avocat en considérant que :
 
« 5. (…) l'avocat doit justifier d'une domiciliation effective et suffisamment stable permettant un exercice professionnel conforme aux principes essentiels et usages de son état et de nature à garantir le respect des exigences déontologiques de dignité, d'indépendance et de secret professionnel et la sécurité des notifications opérées par les juridictions » (CE, 19 oct. 2012, req. n° 354613, LebonT).
 
Dans son arrêt, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1ère 26 sept. 2018, n°17-26.831, NP), dans le cadre d’une procédure disciplinaire ouverte en … 2015, la cour d’appel avait renvoyé l’avocat des fins de poursuites en ce qui concerne le grief tiré du défaut de domicile professionnel, en considérant que :
 
« Il résulte de ces énonciations que le domicile professionnel de l'avocat doit être effectif, stable et apte à garantir l'exercice de la profession dans le respect de ses principes essentiels, notamment de dignité, d'indépendance, et dans le respect du secret professionnel.
 
Le conseil de l'ordre siégeant comme conseil de discipline a retenu que la présentation occasionnelle d'un bureau dans un centre de domiciliation n'est pas conforme à l'obligation rappelée supra.
 
Mme X... a déclaré exercer son activité à Paris, en reconnaissant vivre à Lille (Nord) et travailler depuis son domicile personnel, en venant régulièrement à Paris pour son activité professionnelle et en louant ponctuellement un bureau. Son adresse professionnelle déclarée était sise au […] 75001, Paris.
 
Elle produit aux débats un document intitulé " Nouvelle annexe 2 au contrat de Mme X... effective à partir du I 0 mai 2010 pourtant sur la location d'un bureau n°14" pour une redevance mensuelle de I 100 € HT dans un centre d'affaire:, Espace D… sis à cette adresse où l'ensemble des courriers relatifs tant à la procédure de contrôle de sa comptabilité qu'à la procédure disciplinaire lui ont été adressés depuis 2014 jusqu'à 2018. Le contrôle de comptabilité a d'ailleurs eu lieu à cette adresse.
 
Cet espace lui permet de faire accueillir ses clients par un service dédié et de recevoir au moins deux personnes dans un lieu assurant la confidentialité. Elle y dispose, par ailleurs d'une ligne téléphonique et d'un service de transfert de courrier.
 
(…)
 
La preuve· n'est pas rapportée que ce local ne garantit l'exercice de la profession dans le respect de ses, principes essentiels, notamment de dignité, d'indépendance, et dans le respect du secret professionnel. » (Paris, pôle 4, ch. 13, 18 févr. 2021, RG n°19/01479).
 
Le bâtonnier, bien que, pour le surplus, l’arrêt de la cour d'appel ait retenu des manquements déontologiques à l’encontre de l’avocat poursuivi et prononcé une sanction disciplinaire, s’était pourvu en cassation sur la question relative au domicile professionnel. Et ce, très certainement, en raison d’une procédure d’omission, par ailleurs pendante, pour … défaut de domicile professionnel sur le fondement de l’article 105 3°) du décret du 27 novembre 1991.
 
Le bâtonnier reprochait deux griefs essentiels à l’arrêt de la cour d’appel :
 
- D’avoir constaté que l’avocat avait reconnu travailler depuis son domicile personnel à Lille et venir régulièrement à Paris pour son activité professionnelle en y louant ponctuellement un bureau et avoir recours aux services d'un centre de domiciliation pour le transfert de son courrier, tout en retenant que la violation des obligations afférentes au domicile professionnel n'était pas établie ;
 
- D’avoir considéré que la location ponctuelle d'un bureau dans un centre d'affaires pluridisciplinaire pouvait permettre à l'avocat d'exercer son activité dans le respect des principes de dignité et d'indépendance et de garantir le respect du secret professionnel.
 
En arrière-plan de ce pourvoi, c’est clairement une querelle d’anciens et de modernes, opposant une conception traditionnaliste du domicile professionnel, reposant sur un critère de « permanence », et tenant à des exigences de bureau propre, salle d’attente, etc … aujourd’hui dépassées à l’heure des nouvelles technologies …,
 
… à une conception moderniste de ce même domicile professionnel s’attachant à un critère de « stabilité » et « d’effectivité » et cherchant, en premier lieu, à s’assurer que les conditions contractuelles et factuelles du domicile professionnel revendiqué sont conformes aux principes essentiels et de nature à garantir tant le respect des exigences déontologiques de dignité, d'indépendance que le strict respect du secret professionnel ainsi que de la sécurité des notifications opérées par les juridictions.
 
Et, la question était bien posée sous l’angle du domicile professionnel en tant que tel, et non sous celui des domiciliations à titre temporaire permises, par ailleurs, par l’article 15.2. du Règlement intérieur national.
 
La Cour de cassation, dans son arrêt du 14 décembre 2022, rejette le pourvoi.
 
Elle considère de manière très nette, dans son 4ème considérant, que :
 
« 4. Ayant retenu que, si Mme [E] avait reconnu travailler depuis son domicile personnel situé à [Localité 3] et venir régulièrement à [Localité 4] pour son activité professionnelle, elle justifiait d'une location effective, depuis le 10 mai 2010, d'un bureau dans un centre d'affaires sis à [Localité 4] où l'ensemble des courriers relatifs à la procédure de contrôle de sa comptabilité et à la procédure disciplinaire lui avaient été adressés et où le contrôle de comptabilité avait été effectué, que cet espace lui permettait de faire accueillir ses clients par un service dédié et de recevoir au moins deux personnes dans un lieu assurant la confidentialité et qu'elle disposait d'une ligne téléphonique et d'un service de transfert de courrier, la cour d'appel a pu en déduire que Mme [E], qui justifiait ainsi d'un domicile professionnel effectif garantissant l'exercice de sa profession dans le respect de ses principes essentiels, notamment de dignité et d'indépendance, et dans le respect du secret professionnel, n'avait pas méconnu son obligation relative au domicile professionnel. » (Civ. 1ère 14 déc. 2022, n° 21-17.141, P).
 
La solution doit être pleinement approuvée, en tant qu’elle évite d’enfermer la notion de domicile professionnel dans un carcan rigide, et qu’elle doit nous conduire à s’attacher à vérifier si les conditions contractuelles, mais aussi factuelles, sont de nature à garantir un exercice stable et effectif de la profession dans le respect des principes essentiels, notamment de dignité et d'indépendance, et du secret professionnel, au-delà de la seule apparence du local professionnel.
 
L’on connait, en effet, des avocats installés dans des hôtels particuliers, certes, mais qui sont en fait d’authentiques passoires où quiconque entre comme dans un moulin, et dont la sécurité des réseaux informatiques laisse plus qu’à désirer …
 
En recentrant le débat, la Cour de cassation l’a remis là où il doit effectivement être et où l’attention des contrôles doit se porter.

Voir aussi :

- sur la dissociation du domicile professionnel du domicile personnel : Civ. 1ère 22 janv. 1985, n°83-15.927, P ;
- sur l'installation du domicile professionnel dans locaux d'un autre professionnel : Civ. 1ère 27 févr. 1996, n°94-10.821, NP.