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11/03/2023

Prohibition du recours aux "taux horaires de références" pour valoriser les diligences en matière d’honoraires

Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 9 mars 2023 (Civ. 2ème, 9 mars 2023, n°21-15.821, P), destiné à être publié au bulletin, est venu poser le principe de la prohibition du recours aux "taux horaires de références" pour valoriser les diligences en matière d’honoraires.
 
Dans cette affaire, un avocat était intervenu, à la suite d’un autre avocat, en 2012, dans des dossiers relatifs à l’annulations de procès-verbaux d’assemblées générales de copropriété de 2007 et 2009.
 
Aucune convention d’honoraires écrite n’avait été conclue entre l’avocat et le client.
 
Le client, de toutes évidences, insatisfait, avait sollicité, en 2017, la restitution de ses honoraires.
 
 
* Une première ordonnance du premier président, rendue en 2018, avait été cassée sur la question de la prescription, en l’occurrence de cinq ans, faute pour le premier président, d’avoir précisé : « la date de la fin du mandat de l'avocat, qui constituait le point de départ de la prescription quinquennale de l'action en restitution d'honoraires » ce qui n’avait pas mis : « la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle » (Civ. 2ème 12 déc. 2019, n°18-24.258, NP).
 
Cette question de la prescription était de retour devant la Cour de cassation car l’ordonnance du premier président avait indiqué que l’avocat aurait renoncé oralement à invoquer la prescription de la demande de son ancien client.
 
L’avocat contestait cette mention dans le cadre de son pourvoi.
 
Sur ce point, la Cour de cassation rejette le pourvoi dès lors que :  
 
« 6. Selon l'article 457 du code de procédure civile, le jugement a la force probante d'un acte authentique. Il en résulte que les mentions correspondant à des faits que le juge énonce comme ayant eu lieu en sa présence font foi jusqu'à inscription de faux.
 
7. En conséquence, les mentions de l'ordonnance, selon lesquelles l'avocat a oralement précisé qu'il renonçait à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en remboursement de Mme [Z], ne peuvent être critiquées que par la voie d'une inscription de faux. » (Civ. 2ème, 9 mars 2023, n°21-15.821, P).
 
En l’occurrence, l’on rappellera que l’inscription de faux à titre incident ne peut être formée que devant le tribunal judiciaire ou la cour d’appel, pas devant la Cour de cassation (art. 286 du code de procédure civile).
 
Dans un tel cas, il convient de saisir le tribunal judiciaire d’une inscription de faux à titre principal à l’encontre de l’ordonnance du premier président (articles 314 et s. du code de procédure civile), et il appartient à la Cour de cassation de … surseoir à statuer dans l’attente jugement sur le faux (art. 313 code de procédure civile).
 
On ne peut pas dire que la célérité soit le principe directeur en la matière …
 
 
* Mais c’est surtout sur le fond que la solution de l’arrêt commenté devient intéressante.
 
En l’occurrence, le premier président avait cru pouvoir évaluer les honoraires de l’avocat en appliquant aux diligences effectuées : « le taux horaire moyen de 200 euros pratiqué dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ».
 
C’est la pratique même des "taux horaires de références" par certains premiers présidents dans le cadre de la fixation des honoraires, qui était ainsi en cause.
 
La Cour de cassation avait déjà failli se prononcer sur cette question, dans le cadre d’un pourvoi à l’encontre, déjà, d’une ordonnance du premier président d’Aix-en-Provence, mais elle avait alors cassé l’ordonnance sur le terrain de l’absence de débat contradictoire dès lors que le premier président avait utilisé cette méthode sans que les parties n’en aient débattu, le cas échéant à son initiative, à l’audience, en considérant que :
 
« Vu l'article 7 du code de procédure civile :
 
5. Selon ce texte, le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat.
 
6. Pour fixer les honoraires dûs à M. [H], l'ordonnance retient qu'à défaut pour ce dernier d'avoir notifié un taux de rémunération horaire à son client, il sera fait application du taux horaire moyen de 200 euros HT pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, l'affaire confiée par M. [G] ne présentant aucune difficulté particulière.
 
7. En statuant ainsi, alors qu'il énonçait que les parties avaient repris oralement à l'audience les termes de leurs écritures et qu'il ne résultait ni de ces écritures ni des pièces de la procédure que le taux horaire moyen pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence est de 200 euros HT, le premier président, qui a fondé sa décision sur un fait qui n'était pas dans le débat, a violé le texte susvisé. » (Civ. 2ème 7 oct. 2022, n°20-19.723, P).
 
Cette fois-ci, aucune question procédurale n’était soumise à la sagacité de la Cour, et c’est donc sur le fond que la Cour de cassation casse (pour la deuxième fois …) une ordonnance du premier président d’Aix-en-Provence dans cette affaire, en considérant que :
 
« Vu l'article 10, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-690 du 6 août 2015 :
 
10. Aux termes de ce texte, à défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.
 
11. Pour fixer les honoraires dus à l'avocat à une certaine somme, l'ordonnance retient qu'il résulte de la procédure qu'il a effectué des diligences pouvant être évaluées à trois heures de travail et qu'à défaut pour l'avocat d'avoir fait connaître son taux horaire, il y a lieu d'appliquer le taux horaire moyen de 200 euros pratiqué dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
 
12. En statuant ainsi, le premier président, qui s'est référé à un critère pris du taux de rémunération moyen qui serait pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel, étranger à ceux énumérés à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, a violé ce texte. » (Civ. 2ème, 9 mars 2023, n°21-15.821, P).

Pour la Cour de cassation, le « critère pris du taux de rémunération moyen qui serait pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d'appel », est « étranger à ceux énumérés à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 » ... (L. n°71-1130, 31 déc. 1971, art.10). Etranger, en ce sens qu’il ne permet pas de déterminer précisément la valorisation des diligences de l’avocat, objet du litige.

En clair : il faut valoriser les diligences de l'avocat (critère des diligences), mais en appliquant, le cas échéant, le taux horaire de ... l'avocat concerné, pas la moyenne de ceux du ressort de la cour.
 

* Le sens de la solution est on ne plus logique, et frappé du coin du bon sens, ne peut qu’être pleinement approuvé.
 
En effet, en l’absence de convention d’honoraires, il appartient au juge fixateur d’évaluer le montant des honoraires en application des critères légaux admis aux fins de détermination du montant des honoraires, à savoir : la situation de fortune du client, la difficulté de l’affaire, les frais généraux exposés, la notoriété de l’avocat et les diligences (v. D. Piau, S. Bortoluzzi et T. Wickers, Règles de la profession d’avocats, 17e éd., 2022, Dalloz Action, n°721.20 et s.).
 
Les diligences sont les critères le plus important, et déterminant, en la matière. Et dès lors qu’il constate l’existence de diligences effectuées par l’avocat pour le compte de son client, le juge de l’honoraire se doit de procéder à une évaluation de celles-ci afin d’en fixer le montant (Civ. 2ème, 13 déc. 2018, n°17-27.973, NP).
 
La Cour de cassation a néanmoins admis que le juge de l’honoraire pouvait refuser de prendre en compte les diligences « manifestement » inutiles de l’avocat (Civ. 2ème, 14 janv. 2016, n°14-10.787, P - Civ. 2ème, 8 oct. 2020, n°19-21.705, NP).
 
Et si, comme en l’occurrence, l’avocat ne fait connaître son taux horaire, il appartient alors au juge de l’honoraire d’en évaluer le montant, le cas échant, eu égard aux autres critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (L. n°71-1130, 31 déc. 1971, art. 10) … d’autant qu’il convient de rappeler que la méthode du « taux horaire » n’est pas la plus pertinente qui soit (cf. « Honoraires de l’avocat : du défaut de transparence de la clause de taux horaire aux conséquences d’une clause abusive portant sur la rémunération »).